En quoi l’« orang-outan » des Lumières contribue-il à notre compréhension de la constitution des sciences sociales et leurs relations contemporaines avec les sciences du vivant ? Introduit en Europe au xviie siècle, l’« homme des bois » (un terme qui désigne toutes les espèces de grands singes) fait son entrée dans les traités de casuistique médicale, parmi d’autres cas cliniques, brouillant les frontières entre humain et animal, et s’imposant au cœur des controverses des Lumières. Cet article traverse les disciplines et les espaces, et déploie une enquête sur l’orang-outan en suivant les routes du commerce triangulaire qui alimente les métropoles en spécimens. Il retrace des trajectoires croisées à partir d’un large éventail de sources (navires de traite, coffee-houses, catalogues de musées) et met au jour plusieurs types de comparaison, à la fois historiques et historiographiques. Il distingue deux régimes de curiosité ayant contribué à la célébrité de certains chimpanzés, entre foires, coffee-houses et cabinets d’histoire naturelle : l’un, savant, est fondé sur la généralisation anatomique ; l’autre, public, relayé par la presse, valorise les singularités – exemplifié ici par le cas de Madame Chimpanzé. L’histoire de l’orang-outan des Lumières permet ainsi d’interroger les frontières de l’humain et les conditions sociales, scientifiques et politiques de production des savoirs.