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La “statistique psychologique” de Tarde

Published online by Cambridge University Press:  07 May 2025

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On a perdu l'habitude de lire Tarde. Sans doute depuis assez longtemps déjà. Des manuels de sociologie déjà fort anciens ne contiennent plus guère sur Tarde qu'une reproduction plus ou moins paraphrasée des critiques durkheimiennes. Il en va de même dans tel traité de publication récente (1). En cela, Tarde n'est du reste qu‘à peine moins bien partagé que Durkheim lui-même. On continue inlassablement de commenter le «psychologisme» de l'un, le «sociologisme» de l'autre, de discuter du niveau ontologique auquel doit être interprétée la «conscience collective»; quelquefois aussi, on débat de l‘«imitation», se rendant compte que la notion n'est pas aussi naïve, donc d'accès aussi facile, qu'on le croit généralement.

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Première Partie: Doctrine: I. — Mémoires
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Copyright © 1964 International Society for Criminology

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References

(1) R. DAVAL et al., Traité de psychologie sociale, T. I, P.U.F., 1963.

(2) A. PIZZORNO, «Lecture actuelle de Durkheim», Archives européennes de sociologie, III, 1962, p. 2.

(3) H. HYMAN, Survey Design and Analysis, The Free Press, Glencoe, Ill., 1955; H. SELVIN, «Durkheim's Suicide and Problems of Empirical Social Research», American.

(4) Cf. R. BOUDON, «Quelques fonctions de la formalisation en sociologie», Archives européennes de sociologie, IV, 1963, I, p. 191-218.

(5) «De 1828 à 1879, la proportion des récidivistes sur 100 accusés ou prévenus a doublé à peu près et, de 1850 à 1879, elle a augmenté de plus du tiers, mais dans cette dernière période, chiffre moyen, elle a été de 32% par an pour toute la France. Or, cette moyenne générale est loin d'être atteinte par les pays montagneux ou sans grandes villes, par exemple les Basses-Alpes, la Corse, l'Ardèche, la Haute-Loire et l'Ariège, qui donnent 20%; et elle est grandement dépassée par les départements du Nord, où la population est dense, par la Seine-Maritime, la Seine-et-Oise et la Marne, où elle atteint 40%, et surtout par la Seine, où elle est de 42%. La criminalité comparée, 8e édition, Paris, Félix Alcan, 1924, p. 82. La plupart des études réunies dans ce volume, dont la première édition date de 1888, avaient été publiées dans la Revue philosophique. Voir aussi, ibid., p. 97.

Notons que plusieurs passages de la Philosophie pénale (4e édition, Paris, Storck), montrent clairement comment, selon TARDE, une analyse causale visant à établir une loi universelle rencontre toujours, en fait, l'action d'un processus: cf. p. 307. «Cette prétendue loi (liant la criminalité au climat) ne s'applique en France, comme on peut le voir par les belles cartes officielles de M. YVERNES relatives à la répartition des crimes de sang entre nos départements, qu'à la Corse et au littéral méditerranéen. Ce qui frappe d'ailleurs, c'est simplement la noirceur des taches aux alentours des grandes villes, dans la Seine, les Bouches-du-Rhône, la Gironde, la Loire-Inférieure, le Nord, la Seine-Inférieure, le Rhône. Plus une ville est populeuse, même située au Nord, c'est-à-dire plus les contacts humains y sont multiples, et plus la proportion des meurtres, sur un nombre donné d'habitants, y grandit». Voir aussi, ibid., p. 343, l'analyse de la criminalité des immigrants.

(6) Les lois de l'imitation, Paris, Alcan, 1890. Les citations reproduites ici sont empruntées à la 2e édition de 1895. Voir aussi La philosophie pénale, op. cit., «le crime», p. 294-425.

(7) On pourra consulter utilement ici: A. DAVIDOVITCH, «Remarques sur la criminologie de G. TARDE», Séminaire d'histoire de la sociologie empirique en France, comptes rendus ronéotypés publiés sous la direction de Paul LAZARSFELD et Bernard LECUYER.

(8) In Essais et mélanges sociologiques, Lyon, Storck, Paris, Masson, 1895, p. 235-309.

(9) «Quand un condamné en police correctionnelle se demande s'il doit faire appel, il ne peut se régler sur l'exemple des autres condamnés dont il sait seulement que les uns appellent et les autres n'appellent pas. Il ignore aussi la statistique qui lui montrerait que les cours d'appel sont de plus en plus portées à confirmer les décisions des premiers juges. Il n'est poussé que par l'espérance d'un arrêt de réforme; il n'est retenu que par la crainte d'un arrêt confirmatif et l'un ou l'autre l'emporte davantage dans son cœur (les raisons d'espérer et de craindre restant les mêmes dans la moyenne des cas) suivant qu'il est par nature plus hardi ou plus timide, plus porté à la confiance ou au découragement par des causes physiologiques. Cellesci ne changeant pas, le poids supplémentaire qu'elles ajoutent à la balance des motifs eux-mêmes, en somme permanents, doit toujours produire, en moyenne, un effet identique, une proportion des appels à peu près invariable. C'est ce que la statistique montre avec une régularité singulière. Sur cent condamnations, il y en a toujours environ quarante-six qui sont frappées d'appel par les condamnés, depuis 1826. Mais les appels interjetés par le ministère public vont en décroissant, de 43% en 1831, à 22% dans les dernières années; c'est que les magistrats du parquet prennent exemple les uns sur les autres. Et les arrêts confirmatifs vont en croissant pour une raison analogue». La criminalité comparée, op. cit., p. 107; voir aussi Les lois de l'imitation, op. cit., p. 130-131.

(10) Compte général de la justice criminelle pendant l'année 1909, Rapport préliminaire, Paris, Imprimerie Nationale, 1911.

(11) Voir Les lois de l'imitation, op. cit.

(12) La criminalité comparée, op. cit., p. 67-68.

(13) «D'eux-mêmes, une idée ou un besoin, une fois lancés, tendent toujours à se répandis davantage, suivant une vraie progression géométrique. C'est là le schéma idéal auquel se conformerait leur courbe graphique s'ils pouvaient se propager entre eux. Mais, comme ces choses sont inévitables un jour ou l'autre, et vont se multiplier, il ne se peut qu'à la longue, chacune de ces forces sociales ne rencontre sa limite momentanément infranchissable et n'aboutisse, par accident, nullement par nécessité de nature à cet état stationnaire pour un temps, dont les statisticiens en général paraissent avoir compris la signification. Stationnement ici, comme partout ailleurs, signifie équilibre, mutuel arrêt de forces concourrentes. Je suis loin de nier l'intérêt théorique de cet état, puisque ces équilibres sont autant d'équations», Les Iois de l'imitation, p. 126. Voir aussi, ibid., p. 22. «Comme exemples à l'appui de la progression géométrique des imitations, je pourrais évoquer les statistiques relatives à la consommation du café, du tabac, etc., depuis leur première importation jusqu'à l'époque où le marché a commencé à être inondé». Ces références à la généralité de la progression géométrique montra bien que TARDE était conscient de l'importance des processus dont nous donnons dans le texte une forme élémentaire, pour l'interprétation des séries temporelles.

(14) «La proportion des ordonnances de non-lieu décroît sans cesse; celle des arrêts de non-lieu est tombée de 12 à 4%», La criminalité comparée, op. cit., p. 100, note 1; voir aussi Les délits impoursuivis, op. cit., p. 216.

(15) «La proportion, sur cent affaires correctionnelles, de celles qui ont été jugées dans le premier mois à partir du délit, a passé graduellement de trente-deux à soixante-huit…», La criminalité comparée, op. cit., p. 99; ibid. «De 1831 à 1835, les deux cinquièmes des affaires (dénoncées au parquet) étaient communiquées à l'instruction, et il n'en était classé comme ne pouvant donner lieu à aucune poursuite que trois dixièmes; la première proportion est descendue de 41 à 13%, et la seconde est montée de 31 à 49%».

(16) La criminalité comparée, op. cit., p. 99-100.

(17) «Cette uniformité me paraît être, en effet, le trait distinctif par lequel se traduit statistiquement l'action, dans les faits sociaux, d'une cause organique et vitale, par exemple l'influence de l'âge, du sexe, de la race, ou l'action d'une cause physique, telle que le climat et les saisons, ou enfin, l'action d'une cause sociale si ancienne, si enracinée, notamment l'influence du mariage ou de certains sentiments religieux, qu'elle a en quelque sorte passé dans le sang et depuis longtemps atteint les limites de son champ propre de rayonnement imitatif», La criminalité comparée, op. cit., p. 102-103.

(18) La criminalité comparée, op. cit., p. 106-107.

(19) Les lois de l'imitation, p. 21. Voir aussi Les lois sociales, 3e édition, Paris, Alcan, 1902, p. 10: «Ce n'est pas, en effet, le rapport de cause à effet qui, à lui seul, est l'élément propre de la connaissance scientifique». Il est inutile d'insister sur la différence fondamentale qui oppose ici TARDE aux Règles de DURKHEIM, par exemple.

(20) F. SIMIAND, Le salaire, l'évolution sociale et la monnaie, Paris, Alcan, 1932, notamment p. 5-25.

(21) «Que le dénombrement d'actions, le plus possible similaires entre elles (conditions mal remplies par la statistique criminelle entre autres), et, à leur défaut, les dénombrements d'oeuvres, par exemple d'articles de commerce, similaires aussi, doivent toujours tendre et se rapporter à ce but final, ou plutôt à ces deux buts: 1° par des enregistrements d'actions ou d'oeuvres, tracer la courbe des accroissements, des stationnements ou des décroissements successifs de chaque idée nouvelle ou encore, de chaque besoin ancien ou nouveau, à mesure qu'ils se répandent et se consolident, ou qu'ils sont refoulés et déracinés; 2° par des rapprochements habiles entre les séries ainsi obtenues, par la mise en relief de leur variation concomitante, marquer l'entrave ou le secours plus ou moins grand ou nul que se prêtent ou s'offrent ces diverses propagations ou consolidations imitatives de besoins et d'idées (suivant qu'ils consistent, comme ils consistent toujours, en propositions implicites qui s'entre-affirment ou s'entre-nient plus ou moins et en plus ou moins grand nombre); sans négliger toute l'influence que peuvent avoir sur elle le sexe, l'âge, le tempérament, le climat, la saison, causes naturelles dont la force est d'ailleurs mesurée, s'il y a lieu, par la statistique physique ou biologique», Les lois de l'imitation, op. cit., p. 120-121. Il est superflu d'insister sur le caractère confus de ce texte et aussi sur les références au langage de Stuart MILL.

(22) Les lois de l'imitation, op. cit., p. 115.

(23) Essais et mélanges sociologiques, op. cit.

(24) Essais et mélanges sociologiques, op. cit., p. 269-270. La philosophie pénale, p. 374-375 et suiv.

(25) «L'exaltation ou le déclin de la foi religieuse, de la certitude attachée aux menaces de l'enfer ou aux promesses du ciel, se trahissent dans tous les temps et dans tous les pays, en tenant compte, bien entendu, de la dépréciation des métaux précieux et des variations de la richesse nationale, par le chiffre comparé des sacrifices pécuniaires faits à l'autel, des legs ou donations au clergé. Ce serait un problème délicat mais non insoluble, de déterminer à l'aide de ces chiffres, du chiffre comparé de la population à deux époques successives, du chiffre total de la fortune publique à ces mêmes époques et de beaucoup d'autres données numériques, la fraction exacte qui exprimerait le rapport des deux quantités totales de foi religieuse manifestée à ces deux dates dans la même nation», Essais et mélanges sociologiques, op. cit., p. 273-274. Il est remarquable de voir TARDE proposer ici un indice pondéré visant à mesurer un concept complexe, selon une stratégie qui ne se développera guère dans la recherche empirique que beaucoup plus tard. Voir aussi: «A certaines époques de notre siècle, le nombre des entrées dans les églises est resté le même pendant que la foi religieuse allait s'affaiblissant»… «et il peut arriver que, lorsqu'un gouvernement est frappé dans son prestige, l'affection de ses adhérents soit à moitié détruite, quoique leur chiffre ait à peine décru, comme on le voit par les scrutins à la veille même d'un effondrement subit: d'où une cause d'illusion pour ceux que les statistiques électorales rassureraient ou décourageraient plus que de raison», Les lois de l'imitation, p. 116. TARDE ne propose rien moins ici que de remplacer la sociographie électorale par une analyse psychosociologique du mécanisme de la décision de vote.

(26) Les lois de l'imitation, op. cit., p. 115. Sur l'importance sociale de la «Statistique ordinaire», voir La philosophie pénale, op. cit., p. 297: «la statistique est en quelque sorte un sens social qui s'éveille, elle est aux sociétés ce que la vision est aux animaux».

(27) «Il peut paraître assez naturel de penser que le degré de croyance doit se proportionner à la valeur mathématique des raisons telles que je viens de les définir. A ce point de vue, ce calcul des crédibilités, c'est-à-dire des affirmabilités et des niabilités serait une sorte de logique algébrique, celle-là même que nos modernes logiciens ont rêvée, et le pendant symétrique de cette science serait précisément la doctrine utilitaire de BENTHAM, cette morale du a plus b, qu'on pourrait appeler le calcul des désirabilités positives et négatives. Mais la difficulté pour les mathématiciens comme pour les utilitaires consiste à justifier ce devoir qu'ils m'imposent de choisir ou de désirer plus ou moins, ou autrement que je ne crois et que je ne désire», Essais et mélanges sociologiques, op. cit., p. 265.

(28) «Ce ne sont pas les accroissements et les décroissements de la croyance tels qu'ils sont, que détermine le calcul dont il s'agit (le calcul des probabilités), mais bien tels qu'ils seraient s'ils se proportionnaient exactement aux augmentations ou aux diminutions de ce qu'on pourrait appeler les raisons mathématiques de croire», ibid.

(29) Ibid.

(30) Voir La criminalité comparée, p. 79; Essais et mélanges sociologiques, p. 265 et aussi p. 236 et suiv.

(31) «… ce n'est qu'à partir d'un certain degré d'intensité qu'un désir grandissant devient un acte, ou qu'un désir déclinant démasque tout à coup et laisse agir un désir contraire tenu en échec jusque là», Les lois de l'imitation, p. 115-116. Voir aussi, Essais et mélanges sociologiques, p. 266: «En général, dans le voisinage de son maximum appelé certitude, la croyance en voie d'augmentation se ralentit singulièrement. Dans les sciences on peut remarquer la résistance singulière qui s'oppose à l'établissement définitif d'une théorie qui était cependant reconnue pour à peu près démontrée, où, les fait qu'elle expliquait étaient deux fois moins nombreux. On découvre chaque jour des faits nouveaux favorables à l'hypothèse transformiste ou atomistique, mais la foi de leurs partisans est bien loin d'en être accrue autant qu'elle l'était dans le principe par la découverte de faits bien moins probants. Sur de simples indices, NEWTON admit presque sa conjecture devenue loi. Depuis, les observations astronomiques ont centuplé les preuves de sa théorie, et la foi des savants en elle n'a pu devenir cent fois plus forte». Voir encore Les lois de l'imitation, p. 29.

(32) Essais et mélanges sociologiques, p. 266.

(33) Voir, par exemple, DAVAL, Traité de psychologie sociale, T. I, chap. III; «Les échelles d'attitude», Paris, P.U.F., 1963.

(34) Bien que la formation des concepts de «croyance» et de «désir» soient évidemment liée à l'importance que revêt pour TARDE le processus de la persuasion et de la décision, il tente, pour se persuader de leur caractère quantitatif, de leur donner un statut analogue à l'espace-temps dans la philosophie kantienne, c'est-à-dire d'en faire des sortes de formes a priori de la sensibilité interne: «1° au fond des phénomènes internes, quels qu'ils soient, l'analyse poussée à bout ne découvre jamais que trois termes irréductibles, la croyance, le désir et leur point d'application, le sentir pur, extrait, par abstraction et hypothèse, de l'amas de propositions et de volitions où il se trouve engagé; 2° les deux premiers termes sont les formes ou forces innées et constitutives du sujet, les moules où il reçoit les matériaux bruts de la sensation», Essais et mélanges sociologiques, p. 240. L'analogie avec le kantisme, que TARDE avait largement fréquenté, au moins par l'intermédiaire de RENOUVIER, est frappante. Mais, finalement, TARDE devait reconnaître que cette discussion d'ordre métaphysique était inutile et que l'importance de la «croyance» et du «désir» dérive surtout de l'importance pour la psychologie sociale des mécanismes et la décision et de la persuasion: «à présent, je reconnais que j'ai peut-être un peu exagéré le rôle du croire et du désirer en psychologie individuelle, et je n'oserais plus affirmer avec tant d'assurance, que ces deux aspects du moi sont les seules choses en nous susceptibles de plus et de moins. Mais, en revanche, je leur attribue une importance toujours plus grande en psychologie sociale», Les lois de l'imitation, p. 157, en note.

(35) Essais et mélanges sociologiques, p. 260.

(36) «Il est évident, je l'avoue, que ce procédé n'est nullement pratique», Essais et mélanges sociologiques, p. 261; «une statistique psychologique, si elle était pratiquement possible…», cité plus haut; pourtant «quoique malaisé à découvrir, un mètre approximatif des croyances et des désirs, mêmes individuels, aurait bien fini par être imaginé si le besoin s'en était fait sentir à la plupart des hommes, autant que le besoin d'un mètre de l'opinion et de l'inclination générale», Essais et mélanges sociologiques, p. 266. Voir aussi Les lois de l'imitation, p. 148: «Pour le moment la statistique n'est qu'une sorte d'œil embryonnaire».