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Égalité politique et croissance économique, quelle relation ?

Published online by Cambridge University Press:  07 July 2025

Michaël Lemelin*
Affiliation:
Département de philosophie, Université de Montréal, Montréal, QC, Canada
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Résumé

Cet article porte sur le limitarisme économique. Nous y explorons la possibilité d’établir une relation entre deux éléments abordés séparément dans cette littérature, soit les incitatifs économiques négatifs que l’application de la théorie peut générer et sa capacité à défendre l’égalité politique. Sur la base de cette relation, nous formulons une nouvelle objection contre le limitarisme. Finalement, nous envisageons deux pistes de solution pour répondre à cette objection et nous en tirons quelques recommandations pour de futures recherches sur le sujet.

Abstract

Abstract

This article focuses on economic limitarianism. In it, Iexplore the possibility of establishing a relationship between two elements addressed separately in this literature, namely the negative economic incentives that the application of the theory may generate, and its capacity to defend political equality. Based on this relationship, Iformulate a new objection against limitarianism. Finally, Iconsider two possible solutions to this objection, and make a few recommendations for future research on the subject.

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© The Author(s), 2025. Published by Cambridge University Press on behalf of the Canadian Philosophical Association/Publié par Cambridge University Press au nom de l’Association canadienne de philosophie

Le 24 novembre 2013, les citoyens et les citoyennes suisses étaient appelés à se prononcer par référendum sur l’initiative populaire « 1:12– Pour des salaires équitables ». Cette initiative « demande que, dans une même entreprise, le salaire le plus élevé ne puisse être plus de douze fois supérieur au salaire le plus bas. Elle entend ainsi fixer une limite aux salaires des plus hauts cadres » (Conseil fédéral, 2013). Bien que l’initiative fût battue, elle obtint néanmoins le support de plus du tiers des votants (Conseil fédéral, 2013a). L’idée de limiter les revenus des individus les mieux rémunérés n’est pas propre au débat suisse. Par exemple, le programme de La France insoumise, « L’Avenir en commun », porté lors de l’élection présidentielle française de 2022 par Jean-Luc Mélenchon, prévoyait de limiter à 20 fois l’écart entre le salaire le plus bas et le plus élevé dans une entreprise (La France insoumise, 2022). Cette candidature a obtenu près de 22% des voix au premier tour, soit 6% de moins que le candidat arrivé en tête, Emmanuel Macron (Ministère de l’Intérieur, 2022). Malgré l’existence de ce type de position au sein de certaines formations politiques, la philosophe Ingrid Robeyns constate son absence de théorisation dans les théories de la justice distributive contemporaines, lesquelles n’accordent que peu d’importance aux plus avantagés dans la répartition des revenus et des richesses. C’est donc pour combler l’absence d’analyse normative sur les plus riches de la société que la philosophe propose une nouvelle théorie : le limitarisme (Robeyns, Reference Robeyns2017, p.2). Le principe de base du limitarisme est que personne ne devrait posséder plus qu’une certaine quantité d’un bien désirable. Plus précisément, ce qui intéresse la philosophe est de limiter la fortune ou la richesse économique qu’une personne peut posséder (Robeyns, Reference Robeyns2024, p. XIII).

Robeyns justifie le limitarisme en affirmant notamment qu’il a une valeur instrumentale pour atteindre l’égalité politique et satisfaire des besoins urgents (Robeyns, Reference Robeyns2017, p.3). Dans le cadre de cet article, nous nous référerons à ces deux arguments en les appelant respectivement l’argument de l’égalité politique et l’argument des besoins urgents non satisfaits. Alors que certains, incluant Robeyns elle-même, ont exploré plus en détail ces arguments pour montrer leur robustesse (Harel Ben-Shahar, Reference Harel Ben-Shahar2019 ; Timmer, Reference Timmer2019 ; Robeyns, Reference Robeyns2019 ; Robeyns, Reference Robeyns2022 ; Malleson, Reference Malleson2023 ; Robeyns, Reference Robeyns2024), d’autres ont au contraire remis en question leur validité et exprimé des doutes importants sur la valeur instrumentale du limitarisme pour protéger l’égalité politique et apporter une réponse adéquate aux besoins urgents non satisfaits (Volacu et Dumitru, Reference Volacu and Dumitru2019 ; Nicklas, Reference Nicklas2021 ; Huseby, Reference Huseby2022 ; Flanigan et Freiman, Reference Flanigan and Freiman2022).

L’une des critiques qui ont été formulées contre l’argument des besoins urgents non satisfaits est l’objection des incitatifs négatifs. Pour la résumer simplement, cette objection affirme que le limitarisme, en établissant une limite à la fortune et aux revenus qu’un individu peut avoir, correspond à l’application d’un taux d’imposition marginal de 100%. Or, un tel taux d’imposition marginal décourage les individus les plus fortunés de continuer à être aussi productifs, car ils n’ont plus d’incitatifs économiques qui les motivent. Par conséquent, la production totale diminue et l’État a moins de revenus à imposer. Il en résulte donc une diminution des revenus de l’État, lequel possède moins de ressources pour financer des solutions efficaces aux besoins urgents (Robeyns, Reference Robeyns2017, p.35-37 ; Nicklas, Reference Nicklas2021, p.51 ; Volacu et Dumitru, Reference Volacu and Dumitru2019, pp.253 et 264 ; Flanigan et Freiman, Reference Flanigan and Freiman2022, p.761).

Cette objection est utilisée pour critiquer l’argument des besoins urgents non satisfaits, mais non pas celui de l’égalité politique. Dans cet article, nous nous questionnons sur l’existence d’un lien potentiel entre cette objection et l’argument de l’égalité politique. En d’autres termes, nous nous demandons s’il existe un lien entre des incitatifs économiques négatifs et un accroissement des inégalités politiques. Pour ce faire, nous débuterons dans la première partie par une brève présentation du limitarisme et des deux principaux arguments avancés par Robeyns afin de le justifier, soit l’argument de l’égalité politique et celui des besoins urgents non satisfaits. Ensuite, nous exposerons dans la deuxième partie l’objection des incitatifs négatifs ainsi que le type de relation qui a été établie entre celle-ci et l’argument de l’égalité politique. Nous montrerons dans la troisième section la raison qui nous pousse à croire que nous devrions envisager la relation entre ces deux éléments différemment. Nous indiquerons finalement dans la quatrième section les implications de cette nouvelle manière d’envisager la relation entre égalité politique et incitatifs négatifs pour les recherches futures sur le limitarisme.

1. Le limitarisme comme valeur instrumentale

Le terme « limitarisme » nous vient de la philosophe belgo-néerlandaise Ingrid Robeyns. Il s’agit du nom qu’elle a donné à une théorie de la justice distributive qu’elle souhaite défendre (Robeyns, Reference Robeyns2017 ; Reference Robeyns2019 ; Reference Robeyns2022 ; Reference Robeyns2024). Pour Robeyns, une théorie de la justice distributive est composée de deux éléments, à savoir une métrique de la justice et une règle de distribution de cette métrique. La métrique de la justice fait ici référence à un bien défini dont la distribution possède une valeur lorsque la justice est concernée. La règle de distribution, quant à elle, est une règle qui indique comment le bien qui correspond à la métrique devrait être distribué (Robeyns, Reference Robeyns2017, p.1). Par exemple, la métrique pourrait coïncider avec les biens premiers, qui sont définis chez Rawls comme étant « tout ce qu’on suppose qu’un être rationnel désirera, quels que soient ses autres désirs » (Rawls, Reference Rawls2009, p.122), et la règle de distribution pourrait être un égalitarisme strict, c’est-à-dire que tout le monde doit avoir une quantité égale de biens premiers. En combinant ces deux éléments, nous obtenons une théorie de la justice distributive. Dans le cas du limitarisme, la métrique de justice correspond à un bien qui est désirable et la règle de distribution de celui-ci consiste à limiter la quantité que nous pouvons en posséder, c’est-à-dire que personne ne doit posséder une quantité de ce bien qui excède un certain seuil (Robeyns, Reference Robeyns2017, p.4). Le seuil que personne ne doit dépasser est le seuil limitariste.

Le limitarisme est donc une théorie qui peut s’appliquer à différents biens. Par exemple, il est possible d’imaginer une théorie limitariste qui instaure un seuil quant au nombre de logements qu’une personne peut posséder, au nombre d’enfants autorisé par ménage ou encore à la quantité de viande de boeuf qu’une personne peut consommer sur une base annuelle. Dans le cadre de cet article, ce qui nous intéresse est la richesse économique. En ce sens, nous pouvons dire que notre analyse porte sur le limitarisme économiqueFootnote 1 . Afin de préciser davantage la métrique dont il est ici question, nous reprenons à notre compte l’explicitation qui en est faite par Christian Jobin (Reference Jobin2019), c’est-à-dire qu’il faut en réalité appliquer deux mesures conjointes si nous voulons imposer une limite à la richesse qu’un individu peut posséder : (1) il faut mettre en place un seuil limitariste qui s’applique au revenu annuel et (2) il faut instaurer un seuil limitariste qui concerne le capital qu’une personne peut posséder (Jobin, Reference Jobin2019, p.9)Footnote 2 . Par exemple, une théorie limitariste économiqueFootnote 3 pourrait affirmer que personne ne devrait avoir un revenu annuel supérieur à 10 millions de dollars et un capital supérieur à 300 millions de dollars. Maintenant que nous avons compris de manière générale ce à quoi correspond une théorie limitariste, intéressons-nous brièvement aux deux principaux arguments que Robeyns a donnés en faveur du limitarisme.

1.1. L’argument de l’égalité politique

Comme nous l’avons mentionné en introduction, les deux principaux arguments avancés par Robeyns pour justifier le limitarisme conçoivent celui-ci comme ayant une valeur instrumentale plutôt qu’intrinsèque. En d’autres termes, Robeyns développe des arguments qui visent à défendre le limitarisme non pas en tant qu’il a une valeur en soi, mais parce qu’il s’agit d’un moyen permettant d’atteindre d’autres fins. C’est pourquoi Robeyns affirme qu’elle défend une théorie limitariste non intrinsèque (Robeyns, Reference Robeyns2017, p.6). Les deux éléments qu’elle estime réalisables au moyen du limitarisme sont l’égalité politique et la satisfaction des besoins urgents non satisfaits.

Le premier argument, celui de l’égalité politique, plaide donc en faveur de la protection de l’égalité politique par le limitarisme. Plus exactement, Robeyns défend l’idée que le limitarisme est nécessaire à cette protection (Robeyns, Reference Robeyns2017, p.9-10). L’égalité politique renvoie ici aux occasions et chances égales d’influencer l’opinion publique et les politiques.

L’idée de base de cet argument est que les inégalités de revenu et de richesse nuisent à l’égalité politique. Afin d’appuyer son propos, l’autrice fait appel aux travaux de Thomas Christiano pour présenter différents mécanismes via lesquels le pouvoir économique peut être transformé en pouvoir politique (Robeyns, Reference Robeyns2017, p.7). Ces mécanismes sont les suivants : l’achat de votes, l’argent comme gardien du programme politique, l’argent comme moyen d’influencer l’opinion publique et législative et l’argent comme pouvoir politique indépendant. Il n’est pas dans notre intention d’exposer en détail l’ensemble de ces mécanismesFootnote 4 . Nous allons simplement nous contenter de résumer brièvement les deux derniers mécanismes, soit l’argent comme moyen d’influencer l’opinion publique et comme pouvoir politique indépendant. Ils nous permettent non seulement d’illustrer le fonctionnement général par lequel l’argent peut être transformé en pouvoir politique, mais surtout ils nous aident à comprendre pourquoi le limitarisme est essentiel selon Robeyns pour protéger l’égalité politique.

Posséder une grande fortune donne accès à différents moyens permettant d’exercer une influence politique beaucoup plus grande que le reste de la population. Ce sont ces différentes stratégies qui correspondent à la capacité de l’argent d’influencer l’opinion publique. Par exemple, l’achat de médias permet d’avoir un plus grand contrôle sur la diffusion des informations ou sur le cadrage des débats politiques, le financement de laboratoires d’idées favorise la production d’études et d’arguments qui défendent les idées politiques que nous souhaitons mettre de l’avant ou encore le recours à des lobbyistes facilite l’avancement de nos intérêts auprès des décideurs politiques (Robeyns, Reference Robeyns2017, p.8). Chacune de ces stratégies a comme particularité de nécessiter beaucoup d’argent pour être mise en place. Ainsi, elles ne sont accessibles qu’aux plus fortunés. Par conséquent, nous sommes en présence d’une inégalité politique entre les citoyens riches et les autres.

Bien qu’il soit possible de réglementer davantage chacun des domaines impliqués et de mettre en place de nouvelles mesures institutionnelles afin d’amoindrir l’impact que chacune des stratégies précédentes peut avoir, Robeyns affirme qu’une telle stratégie se révélera malgré tout insuffisante, car une bonne partie de l’influence que les plus riches exercent échappe au fonctionnement des institutions formelles (Robeyns, Reference Robeyns2017, p.9).

Le dernier mécanisme qu’elle analyse met d’ailleurs bien ce point de l’avant. Il s’agit de la capacité de l’argent à constituer un pouvoir politique indépendant. L’idée générale est ici que la possession d’une importante fortune investie dans des compagnies et des entreprises permet d’infirmer une décision prise démocratiquement (Robeyns, Reference Robeyns2017, p.8). Par exemple, imaginons qu’un gouvernement démocratiquement élu souhaite augmenter les redevances liées à l’exploitation de l’eau par les entreprises sur son territoire. Dans une telle situation, une personne qui possède une grosse compagnie et qui s’oppose à cette nouvelle réglementation pourrait menacer de déménager son entreprise dans un autre pays. Une telle réaction correspond à ce que Robeyns appelle une contrainte de réalisation pour les décideurs politiques (Robeyns, Reference Robeyns2017, p.8), c’est-à-dire que la tentative de ces derniers d’agir conformément à une décision prise démocratiquement peut être limitée par les plus fortunés. Pour Robeyns, une telle réalité sera effective tant et aussi longtemps qu’il y aura des personnes très fortunées dans la société. Pour empêcher qu’il y ait des personnes suffisamment riches pour agir de la sorte et nuire à l’égalité politique, il faut donc adopter une position limitariste. Par conséquent, le limitarisme est nécessaire pour garantir et protéger l’égalité politique (Robeyns, Reference Robeyns2017, p.9-10).

1.2. L’argument des besoins urgents non satisfaits

Le deuxième argument avancé par Robeyns en faveur du limitarisme se rapporte à sa capacité de récolter des fonds permettant de financer des solutions efficaces pour répondre à des besoins urgents non satisfaits. Robeyns l’appelle donc l’argument des besoins urgents non satisfaits (Robeyns, Reference Robeyns2017, p.10). L’idée de base de l’argument est que la mise en place d’un seuil limitariste permet à l’État d’accroître ses revenus fiscaux, ce qui l’autorise alors à investir davantage dans la satisfaction de besoins urgents. Par exemple, si l’agent Xa eu un revenu annuel de 15 millions de dollars au cours de la dernière année et qu’un seuil limitariste sur le revenu s’élevant à 10 millions de dollars était en vigueur durant cette période, alors l’État va encaisser la totalité des 5 millions de dollars qui excèdent le seuil limitariste. Dans ce scénario hypothétique, l’État voit donc ses revenus fiscaux s’accroître par rapport à un autre scénario où, toutes choses égales par ailleurs, il n’existe aucun seuil limitariste. Par conséquent, l’État aura plus d’argent à investir dans différentes solutions relatives aux besoins urgents.

Qu’est-ce qu’un besoin urgent ? Pour Robeyns, les besoins urgents renvoient à trois éléments, soit la pauvreté extrême, les désavantages locaux et globaux, ainsi que les problèmes d’action collective (Robeyns, Reference Robeyns2017, p.10-12). La pauvreté extrême consiste à vivre avec un revenu inférieur à 2,15$ par jour (Oxfam France, 2023). En ce qui concerne les désavantages locaux et globaux, ils correspondent au fait que plusieurs individus, bien qu’ils ne vivent pas sous le seuil de la pauvreté extrême, ne s’épanouissent pas et souffrent de plusieurs manques importants dans certains aspects de leur vie. À titre d’exemple, Robeyns cite les conditions de vie particulièrement difficiles des personnes itinérantes dans certains pays, malgré un revenu quotidien supérieur à 2,15$, ou encore l’inaccessibilité des soins en santé mentale pour certaines personnes qui en auraient pourtant besoin (Robeyns, Reference Robeyns2017, p.11). Finalement, la dernière catégorie de besoins urgents correspond aux problèmes d’action collective. Un problème d’action collective est un problème pour la résolution duquel l’ensemble des individus auraient intérêt à coopérer, mais pour lequel cette coopération collective ne se réalise pas pour diverses raisons (Brown etal., Reference Brown, McLean and McMillan2018). La lutte contre les changements climatiques en est un bon exemple, mais il en existe d’autres tels que l’accès à la contraception ou encore l’accès à l’éducation pour les filles (Robeyns, Reference Robeyns2017, p.11-12). Robeyns croit donc que le limitarisme trouve un argument en sa faveur via sa capacité de financer des moyens de résoudre ces différents problèmes.

Dans la prochaine section, nous allons présenter une objection qui a été avancée pour remettre en question la capacité du limitarisme à augmenter les revenus fiscaux de l’État et donc, par extension, à satisfaire des besoins urgents. Il s’agit de l’objection des incitatifs négatifs.

2. L’objection des incitatifs négatifs

Robeyns est parfaitement consciente que les deux arguments que nous avons résumés précédemment risquent d’être ciblés par certaines critiques. C’est pourquoi, dans le même article où elle expose pour la première fois l’argument de l’égalité politique et celui des besoins urgents non satisfaits, elle discute quelques-unes des objections qu’elle anticipe à leur égard (Robeyns, Reference Robeyns2017, p.32-37).

L’une de ces objections est celle des incitatifs négatifs. Essentiellement, elle affirme que l’application du limitarisme va décourager les individus qui ont atteint le seuil limitariste ou qui sont près de l’atteindre de travailler plus fort, d’investir davantage, de faire des affaires ou de chercher à innover (Robeyns, Reference Robeyns2017, p.35). En d’autres termes, le limitarisme nuit à la productivité des individus les plus riches de la société, lesquels n’auront plus d’incitatifs économiques qui les motivent, c’est-à-dire qu’ils ne pourront pas récolter un profit supplémentaire même s’ils continuent d’être toujours plus productifs. Cette idée se base sur le principe de taxation optimale. L’autrice explique qu’il existe un consensus en économie publique voulant que lorsque le taux d’imposition marginal se situe au-delà d’environ 70%, alors les revenus de l’État seront moins élevés que si le taux avait été inférieur. Or, il semble que la mise en place d’un seuil limitariste correspond à l’instauration d’un taux d’imposition marginal de 100%. Par conséquent, le limitarisme va générer moins de revenus fiscaux dans les coffres de l’État qu’un taux d’imposition marginal d’environ 70%. Le limitarisme n’est donc pas l’approche qui maximise les revenus fiscaux, ne permettant pas dès lors à un État de disposer du plus d’argent possible pour répondre aux besoins urgents non satisfaits (Robeyns, Reference Robeyns2017, p.37).

2.1. La relation (ou son absence) entre l’argument de l’égalité politique et l’objection des incitatifs négatifs

L’objection des incitatifs négatifs se base sur plusieurs présupposés. Par exemple, peut-on réellement affirmer que toutes les politiques limitaristes possibles correspondent à l’instauration d’un taux d’imposition marginal de 100% (Harel Ben-Shahar, Reference Harel Ben-Shahar2019, p.12-13 ; Timmer, Reference Timmer2019, p.1334-1336 ; Robeyns, Reference Robeyns2024, p.161) ? Est-on vraiment certain que les individus qui ont atteint la limite maximale autorisée ou qui s’en approchent vont travailler moins (Malleson, Reference Malleson2023, p.234) ? Cependant, l’un des présupposés de l’objection des incitatifs négatifs semble avoir échappé à une discussion critique, tant chez ses défenseurs que chez ses détracteurs, alors même qu’il réduit la portée et l’impact de l’objection. Il s’agit de l’idée selon laquelle l’objection des incitatifs négatifs ne remet en question que l’argument des besoins urgents non satisfaits et ne s’adresse pas à l’argument de l’égalité politique. Parfois mentionnée explicitement, cette thèse ne fait pourtant pas l’objet d’une justification très élaborée. Elle est simplement signalée comme un fait découlant logiquement de la nature même de l’argument de l’égalité démocratique et de l’objection des incitatifs négatifs. Robeyns aborde la question en ces termes :

L’argument démocratique n’est pas affecté par le fait que le taux d’imposition marginal optimal est inférieur à 100%, puisque l’argument démocratique s’intéresse à l’égalité politique, non pas à la maximisation des revenus fiscaux qui peuvent être utilisés pour répondre aux besoins urgents non satisfaits. Ainsi, si nous nous soucions seulement de l’égalité politique, nous ne devrions pas réduire le taux d’imposition marginal à moins de 100% tant que nous pouvons montrer que ce dernier mène à davantage d’égalité politique. (Robeyns, Reference Robeyns2017, p.35 ; nous traduisons)

Pour le formuler autrement, l’argument de l’égalité politique n’a que faire de la maximisation des revenus fiscaux de l’État. Ce qui nous intéresse dans ce cas de figure est uniquement la capacité du limitarisme à favoriser l’égalité politique. En ce sens, il n’y aurait pas de raison de diminuer le taux d’imposition marginal sous la barre des 100% dès lors qu’une telle mesure est favorable à l’égalité politique.

À l’inverse, si nous acceptons l’objectionFootnote 5 , elle se révèle particulièrement problématique pour l’argument des besoins urgents non satisfaits. Si l’objectif est de satisfaire des besoins urgents, alors il semble plus rationnel de choisir la solution qui permet de tendre le plus possible vers le but espéré. Or, comme nous l’avons vu précédemment, maximiser les revenus fiscaux ne passe pas par l’instauration d’un taux d’imposition marginal de 100%, mais plutôt via un taux qui se situe environ à 70%. Par conséquent, il est rationnel de ne pas instaurer un seuil limitariste pour répondre au problème des besoins urgents non satisfaits, mais plutôt d’adopter un taux d’imposition marginal qui optimise les revenus fiscaux de l’État (Robeyns, Reference Robeyns2017, p.35).

Cette idée que l’objection des incitatifs négatifs vise uniquement l’argument des besoins urgents non satisfaits ne se limite pas à l’analyse de Robeyns et se trouve chez d’autres auteurs qui ont abordé cette objection. Par exemple, pour Dick Timmer (Reference Timmer2019, p.1335), cette discussion sur la productivité nous amène à réfléchir à un compromis ou à un échange entre différentes valeurs, en l’occurrence entre l’égalité politique et la productivité. Même si Timmer estime que le compromis entre ces deux valeurs n’est peut-être pas aussi significatif que pourrait nous le laisser croire l’objection des incitatifs négatifs, il n’en demeure pas moins que, pour l’auteur, « toutes les politiques, incluant celles qui sont limitaristes, sont des compromis entre différentes valeurs » (Timmer, Reference Timmer2019, p.1334-1335 ; nous traduisons). Ainsi, nous retrouvons dans cette analyse l’idée que l’objection des incitatifs négatifs ne remet en cause que la valeur instrumentale du limitarisme pour répondre aux besoins urgents non satisfaits.

Un autre exemple s’offre à nous dans les travaux de Jessica Flanigan et Christopher Freiman. Dans leur article « Wealth Without Limits: In Defense of Billionaires » (2022), les deux auteurs avancent de nombreuses objections à l’endroit du limitarisme. Bien qu’ils n’utilisent pas précisément les termes d’incitatifs négatifs, ils lui adressent une objection similaire lorsqu’ils affirment que

[d]ans la mesure où les milliardaires font leur argent par l’entremise d’investissements dans des compagnies productives, ils ont de puissants incitatifs pour produire des biens, des services et des infrastructures publics utiles, dont tous et toutes bénéficient, incluant les pauvres. Et dans la mesure où taxer les milliardaires aurait un effet indésirable sur l’investissement, conduisant à une diminution de la croissance économique, tout le monde en souffrirait. (Flanigan et Freiman, Reference Flanigan and Freiman2022, p.761 ; nous traduisons)

L’idée formulée ici est légèrement différente de celle que nous trouvons chez Robeyns, c’est-à-dire qu’au lieu d’affirmer que le limitarisme ne permet pas à l’État de maximiser ses revenus fiscaux, Flanigan et Freiman soutiennent qu’en décourageant les personnes les plus fortunées d’investir et d’être productives, le limitarisme va générer une diminution de la croissance économique. Or, toujours selon les deux auteurs, une telle diminution sera nuisible à l’ensemble de la population puisque celle-ci bénéficie de la production et des services générés par les investissements des milliardaires. Ainsi, les effets néfastes du limitarisme sur la croissance économique affecteront négativement les conditions de vie de toute la population, incluant les plus pauvres de la société (Flanigan et Freiman, Reference Flanigan and Freiman2022, p.761). Cette version quelque peu différente de l’objection des incitatifs négatifs concerne encore essentiellement la valeur instrumentale du limitarisme pour satisfaire les besoins urgents non satisfaits, mais non pas sa capacité à améliorer l’égalité politique.

Néanmoins, l’idée que l’objection des incitatifs négatifs puisse concerner l’argument de l’égalité politique a déjà été formulée. Par exemple, Alexandru Volacu et Adelin Costin Dumitru abordent la question des incitatifs négatifs dans leur discussion de l’argument de l’égalité politique (Volacu et Dumitru, Reference Volacu and Dumitru2019, p.256-257). En effet, ces derniers soulignent qu’il s’agit d’une conséquence néfaste du limitarisme. Or, puisqu’il est possible, selon eux, de protéger l’égalité politique sans faire appel à l’instauration d’un seuil limitariste, c’est-à-dire uniquement grâce à la mise en place de réformes institutionnelles importantes, alors il convient de privilégier cette deuxième approche. Ils appellent cette option l’approche des mesures institutionnelles (Volacu et Dumitru, Reference Volacu and Dumitru2019, p.256-257). En d’autres termes, l’objection des incitatifs négatifs permet de discriminer différentes approches qui ont pour objectif de protéger l’égalité politique. Lorsqu’une approche est affectée par cette objection et qu’une autre ne l’est pas, il convient de privilégier la seconde. Il faut donc privilégier l’approche des mesures institutionnelles plutôt que le limitarisme. On remarquera ici que, même si l’objection des incitatifs négatifs est mobilisée pour critiquer l’argument de l’égalité politique, elle ne le remet pas fondamentalement en question en ce sens qu’il s’agit de mettre de l’avant une conséquence indésirable plutôt que d’argumenter en faveur de l’impact négatif qu’ont les incitatifs négatifs sur la valeur instrumentale du limitarisme pour la protection de l’égalité politique. Volacu et Dumitru précisent donc que cette objection qu’ils font à partir des incitatifs négatifs n’est pas un argument décisif (Volacu et Dumitru, Reference Volacu and Dumitru2019, p.257).

Dans cette section, nous avons vu ce à quoi correspond l’objection des incitatifs négatifs ainsi que l’usage ou non qui en a été fait pour critiquer l’argument de l’égalité politique. Nous pouvons essentiellement distinguer en deux groupes le rapport qui a été établi entre cette objection et cet argument. D’un côté, il y a les analyses qui n’accordent pas de valeur à l’objection des incitatifs négatifs pour critiquer l’argument de l’égalité politique. De l’autre, il y a celles qui critiquent l’argument de l’égalité politique avec l’objection des incitatifs négatifs, mais sans critiquer le fondement même de l’argument, c’est-à-dire qu’elles n’établissent pas de relation entre les incitatifs négatifs et l’égalité politique. Or, nous croyons qu’il est possible d’envisager un autre type de relation entre ces deux éléments, à savoir que les incitatifs négatifs peuvent avoir un effet sur l’égalité politique. Nous allons explorer ce point plus en détail dans la prochaine section.

3. Une nouvelle manière de concevoir la relation entre l’argument de l’égalité politique et l’objection des incitatifs négatifs

Nous avons vu, dans la section précédente, que parmi les différentes perspectives sur la relation entre l’argument de l’égalité politique en faveur du limitarisme et l’objection des incitatifs négatifs, aucune jusqu’à présent n’a défendu l’hypothèse de l’impact des incitatifs négatifs sur l’égalité politique. Or, la seule raison formulée pour justifier cette hypothèse ne permet pas de la défendre.

Plus précisément, le seul argument mobilisé pour justifier l’absence de relation entre les incitatifs négatifs et l’égalité politique est celui de Robeyns que nous avons exposé précédemment (Robeyns, Reference Robeyns2017, p.35). L’idée est que l’objection des incitatifs négatifs n’affecte pas l’argument de l’égalité politique, car ce qui intéresse cet argument est la valeur instrumentale du limitarisme pour favoriser l’égalité politique plutôt que sa capacité à récolter de l’argent pour satisfaire les besoins urgents. En effet, les autres analyses de la question ou bien présupposent cet argument, comme celle de Timmer (Reference Timmer2019, p.1335) ou encore celle de Flanigan et Freiman (Reference Flanigan and Freiman2022, p.761), ou bien l’expriment, comme c’est le cas de Volacu et Dumitru lorsqu’ils soulignent que la critique de l’argument de l’égalité politique qu’ils formulent à partir de l’objection des incitatifs négatifs ne cible pas le coeur de l’argument (Volacu et Dumitru, Reference Volacu and Dumitru2019, p.256-257). Or, cette justification ne nous semble pas adéquate. Pour qu’elle puisse être convaincante, elle devrait nous expliquer pourquoi nous n’avons aucune raison de croire que les effets économiques potentiels du limitarisme auront un impact sur l’égalité politique. Cependant, l’argument ne contient rien de tel. Il se contente d’affirmer comme un fait établi que des incitatifs économiques négatifs n’affecteront pas l’égalité politique, alors même que ce point précis nécessite davantage d’explications. Dans les lignes suivantes, nous allons donc argumenter en faveur de l’idée que nous ne pouvons écarter a priori l’hypothèse selon laquelle l’objection des incitatifs négatifs ne constitue pas une objection contre l’argument de l’égalité politique.

Pour ce faire, il nous semble nécessaire de développer un peu plus en détail l’objection des incitatifs négatifs. Cela nous permettra de présenter plus clairement notre propos. Comme nous l’avons vu précédemment, le point de départ de cette objection est que la mise en place d’un seuil limitariste va décourager les individus les plus fortunés de la société de produire davantage (Robeyns, Reference Robeyns2017, p.35). Dès lors, comme l’analyse de Flanigan et Freiman l’avait explicité, la croissance économique de la société va diminuer (Flanigan et Freiman, Reference Flanigan and Freiman2022, p.761). Comme nous pouvons le constater, l’objection des incitatifs négatifs, bien que mettant l’accent sur une diminution de la productivité d’un certain groupe dans la société, ne s’y limite pas et souligne les impacts du limitarisme sur la production de la société dans son ensemble, qu’il s’agisse comme chez Robeyns d’une diminution des ressources disponibles pour répondre aux besoins urgents non satisfaits (Robeyns, Reference Robeyns2017, p.35) ou comme chez Flanigan et Freiman des effets négatifs sur la croissance économique (Flanigan et Freiman, Reference Flanigan and Freiman2022, p.761). Par conséquent, lorsque nous nous demandons si l’objection des incitatifs négatifs peut être mobilisée pour critiquer l’idée selon laquelle le limitarisme favorise l’égalité politique, nous pouvons reformuler la question de la manière suivante : est-ce qu’une diminution de la croissance économique peut avoir des effets négatifs sur l’égalité politique ?

Cette nouvelle formulation de la question peut nous aider à voir plus clairement pourquoi nous n’étions pas satisfaits de l’explication de Robeyns pour limiter l’application de l’objection des incitatifs négatifs à l’argument des besoins urgents non satisfaits. En effet, il nous paraît hasardeux de nier aussi rapidement la possibilité qu’une diminution de la croissance économique exerce une influence néfaste sur l’égalité politique. Par exemple, en se basant sur une analyse de l’histoire des XIXe et XXe siècles aux États-Unis et dans certains États européens, Benjamin Friedman parvient à la conclusion que la croissance économique, bien que n’étant pas le seul facteur qui entre en ligne de compte, joue un rôle important notamment pour favoriser une plus grande tolérance envers la diversité, un esprit plus démocratique et plus équitable, et que son absence ou sa diminution contribuent à mettre ces derniers en péril (Friedman, Reference Friedman2006, pp.15 et 17). Arrêtons-nous un instant sur le travail de Friedman.

Le point de départ de sa réflexion est qu’il est courant de réfléchir à la croissance économique en termes de considérations matérielles et de l’opposer aux considérations morales. La croissance économique permettrait d’avoir un confort matériel plus élevé, mais elle impliquerait des conséquences négatives, notamment sur le plan environnemental. Accorder une trop grande importance à notre bien-être matériel nous amènerait ainsi à compromettre notre intégrité morale, par exemple en dégradant les conditions d’existence des générations futures ou en favorisant l’extinction d’autres espèces. Or, pour Friedman, cette opposition entre, d’un côté, les considérations matérielles et, de l’autre, les considérations morales est erronée : la croissance économique n’est pas seulement importante pour des raisons matérielles, mais également pour des raisons morales (Friedman, Reference Friedman2006, p.15). Friedman observe que les périodes historiques aux États-Unis qui sont accompagnées d’une importante croissance économique bénéfique à la grande majorité des citoyens correspondent aux périodes les plus favorables à une réduction des inégalités politiques, économiques et sociales. Inversement, les périodes de stagnation économique ou de chute des bénéfices de la croissance pour une large part de la population correspondent aux périodes où l’on peut observer des reculs importants sur ces points. On assiste alors à une augmentation de l’hostilité envers l’immigration, à un accroissement significatif du nombre de groupes suprémacistes blancs ou encore à une hausse de la quantité de milices privées antigouvernementales (Friedman, Reference Friedman2006, p.17). Friedman remarque également qu’une telle corrélation n’est pas le propre des États-Unis. Il affirme notamment que

[l]’histoire de chacune des grandes démocraties occidentales— les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne— est remplie d’exemples de ce type de revirement envers l’ouverture et la tolérance et souvent de l’affaiblissement des institutions politiques démocratiques qui ont suivi la stagnation économique et qui ont diminué la confiance des gens dans un avenir meilleur. (Friedman, Reference Friedman2006, p.17-18 ; nous traduisons)

Ne s’agit-il que d’une corrélation, ou y a-t-il vraiment une causalité entre la croissance économique et l’égalité politique ? Pour Friedman, il ne s’agit pas seulement d’une corrélation, la croissance économique jouant bel et bien un rôle majeur dans l’affaiblissement ou le renforcement de l’égalité politique. L’explication que propose l’auteur s’appuie sur la psychologie et les préférences individuelles. Comme le résument très bien Lewis Davis et Matthew Knauss,

[p]lutôt que de postuler un mécanisme politique au coeur de la relation entre le progrès économique et le progrès social, Friedman identifie un lien plus fondamental, enraciné dans l’impact du progrès économique sur les préférences individuelles. (Davis et Knauss, Reference Davis and Knauss2013, p.44 ; nous traduisons)

Pour Friedman, les individus font deux types de comparaisons pour évaluer leur bien-être matériel : ils comparent leur revenu à celui de leurs voisins et ils comparent leur revenu actuel avec leur revenu passé. L’influence des comparaisons interindividuelles et intertemporelles du revenu sur le bien-être subjectif est d’ailleurs étayée dans la littérature. Par exemple, l’importance de la comparaison sociale et de l’habituation du revenu dans le bien-être subjectif ont une attestation empirique (Clark etal., Reference Clark, Frijters and Shields2008).

Selon Friedman, ces deux modes de comparaisons peuvent se substituer l’un à l’autre. En d’autres termes, bien performer dans les comparaisons intertemporelles réduit l’importance accordée aux comparaisons interindividuelles et inversement. Il affirme donc que la croissance économique, lorsqu’elle profite à l’ensemble de la population, réduit l’importance que les individus accordent au fait de vivre mieux que les autres. Dès lors, ces derniers adoptent une attitude plus altruiste, font preuve d’une plus grande générosité et se soucient davantage du bien-être d’autrui. La préférence pour des politiques plus égalitaires augmente alors. Inversement, lorsque les individus voient leur revenu diminuer ou stagner par rapport à leur situation passée, alors ils sont davantage en proie à l’envie. Ils ont tendance à se replier sur eux-mêmes, à être plus hostiles envers les autres et à vouloir un revenu supérieur à celui des individus qui les entourent. La préférence pour des politiques sociales inégalitaires connaît alors une augmentation (Davis et Knauss, Reference Davis and Knauss2013, p.43-44). Par conséquent, la croissance économique posséderait une importance morale en influençant les comportements et les préférences des individus.

Nous pouvons donc constater que, pour Friedman, ce n’est pas un hasard ni même une situation exceptionnelle si une diminution de la croissance économique génère des politiques inégalitaires. Au contraire, c’est la norme. C’est pourquoi Friedman ne se cantonne pas à la situation aux États-Unis, mais s’intéresse également aux pays européens. Une diminution de la croissance économique n’explique évidemment pas à elle seule le recul des politiques sociales et économiques égalitaires, ni non plus l’affaiblissement des institutions démocratiques. L’auteur insiste sur ce point (Friedman, Reference Friedman2006, p.17). Il n’en demeure pas moins que la croissance économique joue un rôle important et que le scénario le plus probable lorsqu’elle diminue est qu’il y ait des reculs sur le plan de l’égalité politique.

Le philosophe William Galston abonde dans le même sens lorsqu’il affirme que

[l]a vie politique est très différente lorsque la croissance s’arrête et que le défi devient la répartition des pertes dans un environnement à somme nulle ou négative. L’expérience humaine montre (et l’économie comportementale confirme) que la douleur de la perte dépasse le plaisir du gain. Si le fait de ne pas réussir à améliorer son bien-être est décevant, le fait de perdre ce dont on a profité est source d’amertume et de colère. Les pathologies que nous observons aujourd’hui sont les conséquences de ces sentiments. (Galston, Reference Galston2014, p.18 ; nous traduisons)

Ainsi, pour Galston, une diminution de la croissance économique favorise le développement de « la politique du blâme ». Lorsque la situation économique est mauvaise ou qu’elle se dégrade, la colère et le ressentiment qu’éprouvent les individus se dirigent vers un « autre » considéré comme responsable de la situation. Un tel contexte est notamment propice à la prolifération des discours populistes et à l’accroissement des partis politiques situés aux extrêmes sur l’échiquier politique. Or, ces types de discours et de partis politiques en viennent, la plupart du temps, à considérer les institutions démocratiques comme étant elles-mêmes une source du problème, et constituent de ce fait une menace pour le maintien d’un régime démocratique (Galston, Reference Galston2014, p.18-19). Pour Galston, la croissance économique est donc un élément central pour la santé d’une démocratie (Galston, Reference Galston2014, p.22-23).

Revenons maintenant au limitarisme. Si les analyses de Friedman et de Galston se révèlent exactes, alors l’argument de l’égalité politique semble effectivement pouvoir être mis à mal par l’objection des incitatifs négatifs. L’objection prendrait la forme suivante :

P1 : le limitarisme nuit à la croissance économique

P2 : la stagnation ou la réduction de la croissance économique nuit à l’égalité politique

C : le limitarisme nuit à l’égalité politique

Contrairement à la position défendue par Robeyns, il semble que l’objection des incitatifs négatifs permet bel et bien de critiquer l’argument de l’égalité démocratique. Une défense efficace de cet argument ne peut donc pas présupposer que les impacts économiques du limitarisme ne la concernent pas : elle doit répondre à l’objection que nous avons formulée ci-dessus. Si cette dernière est valide, c’est non seulement la position de Robeyns qui est touchée, mais également toutes celles que nous avons présentées à la section précédente.

Par exemple, l’analyse de Volacu et Dumitru présente les impacts économiques du limitarisme comme une conséquence indésirable qui peut se produire, mais qui ne menace pas l’égalité politique en soi. Leur objectif est donc de trouver une alternative pour atteindre un résultat similaire en termes d’égalité politique, mais qui ne se révèle pas nuisible à l’économie (Volacu et Dumitru, Reference Volacu and Dumitru2019, p.256-257). La critique qu’ils formulent s’en trouverait largement renforcée s’ils établissaient cette connexion entre les incitatifs économiques et l’égalité politique. Il ne s’agirait pas seulement de dire que le limitarisme n’est pas efficace pour défendre l’égalité politique ou que d’autres alternatives lui sont préférables, mais qu’il est nuisible à l’égalité politique.

L’analyse de Timmer devrait également être modifiée. Pour ce dernier, l’opposition entre l’égalité politique et les incitatifs négatifs doit être interprétée comme un échange de valeurs (Timmer, Reference Timmer2019, p.1335). Or, cette conception exclut sans justification l’idée que des incitatifs négatifs peuvent nuire à l’égalité politique. Il n’est donc pas du tout certain que nous soyons dans une situation de compromis ou d’échange entre deux valeurs : le limitarisme pourrait impliquer à la fois des pertes économiques, mais aussi des reculs en matière d’égalité politique.

L’idée n’est pas ici de prétendre que l’objection des incitatifs négatifs se révèle fatale pour l’argument de l’égalité politique. Nous avons simplement voulu montrer qu’il est tout à fait possible d’utiliser cette objection pour faire une critique de l’argument de l’égalité politique. Par conséquent, se contenter d’affirmer que l’objection des incitatifs négatifs ne permet pas de critiquer cet argument, ce qui importe pour celui-ci n’étant pas la capacité de l’État d’aller chercher le plus d’argent possible via l’impôt, mais seulement la valeur instrumentale pour protéger et favoriser l’égalité politique, est une explication insuffisante. Pour montrer qu’il n’y a aucun lien entre les deux, il faut expliquer pourquoi les conséquences des incitatifs négatifs ne risquent pas de nuire à l’égalité politiqueFootnote 6 . Ainsi, nous sommes d’avis que les différentes analyses que nous avons exposées à la section 2.1 sont incomplètes puisqu’elles ne cherchent pas à fournir une telle explication. Nous avons brièvement indiqué comment ces différentes approches seraient affectées par l’objection que nous avons proposée.

Ce que nous avons établi dans cette section ne signifie pas que nous sommes en accord avec la critique de l’argument de l’égalité politique telle que nous l’avons formulée. Nous sommes même plutôt enclin à croire qu’il existe au moins deux manières d’y apporter une réponse intéressante et nous les présentons brièvement dans la section suivante. La seule thèse que nous avons souhaité défendre dans cette section est qu’il est possible de critiquer l’argument de l’égalité politique en faveur du limitarisme à partir de l’objection des incitatifs négatifs. Une analyse de cet argument qui exclut cette possibilité sans justification ou argumentation se condamne donc à être incomplète.

4. Quelles conclusions pouvons-nous en tirer ?

Dans la section précédente, nous avons expliqué pourquoi nous ne pouvons pas tenir pour acquis que l’objection des incitatifs négatifs ne permet pas de critiquer l’argument de l’égalité politique. Nous allons maintenant nous intéresser à deux objections qu’il est possible de formuler afin de mettre en doute l’influence d’une diminution de la croissance économique sur l’égalité politique. Nous indiquerons les conclusions que nous en tirons pour de futures recherches sur le limitarisme.

La première objection nous est fournie par les travaux de Davis et Knauss (Reference Davis and Knauss2013). Les auteurs ont testé empiriquement l’hypothèse de Friedman sur la relation entre la croissance économique et l’égalité politique. Pour ce faire, ils ont utilisé les données de l’enquête mondiale sur les valeursFootnote 7 recueillies entre 1989 et 2007 dans 84 pays. Ils ont analysé la relation entre la croissance économique et le goût pour des politiques sociales égalitaires (Davis et Knauss, Reference Davis and Knauss2013, p.44, 45, 50). Le résultat de leur analyse ne donne pas entièrement tort à Friedman, mais il appelle une modification de son hypothèse. En effet, Davis et Knauss affirment que les données récoltées appuient fortement

une version modifiée de l’hypothèse de Friedman, dans laquelle une augmentation du taux de croissance est positivement liée au goût pour la responsabilité gouvernementale. Ce résultat résiste à une variété de contrôles et de restrictions de l’échantillon. Une exception importante consiste en ce que la relation entre le changement du taux de croissance et le goût pour la responsabilité gouvernementale n’est pas significative lorsque l’échantillon est restreint aux pays les plus riches. (Davis et Knauss, Reference Davis and Knauss2013, p.50 ; nous traduisons)

Pour notre discussion, cette nuance est importante. Contrairement à ce que Friedman indique, ce n’est pas le taux de croissance économique faible ou élevé d’une société qui a un impact sur les préférences des individus, mais plutôt sa variation : c’est l’augmentation ou la diminution significative du taux qui provoque un changement d’attitude à l’endroit des politiques sociales égalitaires. Par conséquent, si l’application d’un seuil limitariste contribue à réduire le taux de croissance économique, une baisse du soutien aux politiques sociales égalitaires pourrait effectivement s’ensuivre. Cependant, une société peut très bien avoir un taux de croissance économique faible sans qu’il en résulte une hostilité importante contre les politiques sociales égalitaires. En d’autres termes, ce n’est pas parce qu’une société limitariste ne favorise pas un taux de croissance élevé que l’égalité politique y sera forcément fragilisée.

Plus important encore pour notre propos, la relation entre la croissance économique et l’égalité politique n’est probablement pas aussi universelle que le pense Friedman. Il semble que, passé l’atteinte d’un certain degré de confort matériel, une baisse de la croissance économique ne génère pas de conséquences significatives en matière d’égalité politique. Les conséquences du limitarisme peuvent donc varier d’une société à l’autre. Les données dont nous disposons indiquent que le limitarisme semble mieux adapté pour les États les plus fortunés et qu’il faudrait peut-être l’éviter dans les pays en développement.

Cette première réponse à la défense de l’argument de l’égalité politique nous invite donc à accorder une plus grande attention au contexte. Dans quel État veut-on appliquer une politique limitariste ? Quelle est sa situation économique ? Cet État a-t-il été habitué à des taux de croissance importants dans les dernières décennies ? Quelle est la qualité de vie matérielle moyenne de ses citoyens et citoyennes ? La réponse à ces différentes questions pourrait se révéler décisive pour l’instauration ou non d’un seuil limitariste. Dans cette perspective, le limitarisme ne serait pas une théorie de la justice distributive attrayante en tous lieux et à toutes les époques. L’objection que nous avons formulée à la section précédente s’en trouverait fragilisée puisqu’elle perd ainsi sa portée universelle. Davis et Knauss nous invitent cependant à prendre acte des conclusions de leur analyse avec précaution. Ils soulignent les différentes limites de leur étude. Par exemple, la période durant laquelle les données ont été recueillies s’échelonne sur moins de 20 ans. Il s’agit d’une durée relativement courte pour établir la validité des conclusions que les auteurs en tirent. Défendre le limitarisme économique sur la base de cette première objection nécessite donc davantage de recherches pour mettre à jour une telle analyse et élargir le corpus de données.

Une deuxième objection qu’il est possible de formuler pour défendre l’argument de l’égalité politique se base sur les travaux de la philosophe Julie Rose. Dans son article « On the Value of Economic Growth » (2020), la philosophe remet en question une partie de l’analyse de Friedman (Reference Friedman2006) et de Galston (Reference Galston2014). Elle met de l’avant deux façons de s’opposer à l’idée qu’une diminution de la croissance économique va nécessairement fragiliser la démocratie. La première consiste à soutenir qu’il est tout à fait possible que les tendances comportementales observées à la suite d’une diminution de la croissance économique soient moindres ou tout simplement inexistantes si les circonstances sociales sont différentes (Rose, Reference Rose2020, p.142-143). Par exemple, Rose affirme que dans une société où les comparaisons sociales ne reposent pas sur la position économique des individus, mais sur leurs distinctions ou leurs accomplissements dans une variété d’autres domaines, et où ils n’ont pas à craindre de voir leur niveau de vie diminuer largement par rapport au reste de la population, les effets comportementaux associés à une baisse de la croissance économique risquent de ne pas se produire ou alors de se manifester avec une importance bien moins grande (Rose, Reference Rose2020, p.142-143).

La deuxième stratégie utilisée par Rose consiste à défendre l’idée que la qualité de vie des gens peut continuellement s’améliorer même dans un contexte d’absence de croissance économique. Les analyses de Friedman et de Galston partent du principe qu’une diminution de la croissance est nuisible pour la démocratie parce qu’elle ne permet pas aux membres de la société d’augmenter constamment leur qualité de vie. Pour Rose, une amélioration continue de la qualité de vie des individus est possible dans un contexte d’absence ou de diminution de la croissance. Par conséquent, une diminution de la croissance économique peut ne pas nuire à l’égalité politique (Rose, Reference Rose2020, p.143). À titre d’exemple, dans une société où la croissance économique diminue, mais où en parallèle le temps libre est en hausse et équitablement distribué, la qualité de vie des gens pourra continuellement s’améliorer (Rose, Reference Rose2020, p.143).

Cette réponse de Rose à l’analyse de Friedman et de Galston nous incite à croire que de futures recherches sur le limitarisme devraient envisager l’instauration d’un seuil limitariste comme faisant partie intégrante d’un plan plus large. Cela augmente en effet, pour un défenseur du limitarisme, les possibilités de réponses aux objections qui lui sont adressées. En d’autres termes, il peut se révéler avantageux d’envisager le limitarisme non pas comme une mesure isolée, mais plutôt comme une composante d’un ensemble de réformes. Pour reprendre l’exemple précédent, il serait intéressant de combiner l’instauration d’un seuil limitariste avec diverses politiques qui favorisent un accroissement et une meilleure distribution du temps libre.

Notre conclusion rejoint en partie l’un des points soulignés dans les travaux de Martin François, Sybille Mertens de Wilmars et Kevin Maréchal sur les cas historiques d’application ou de tentatives d’application d’une limite à la richesse et aux revenus personnels (François etal., Reference François, Wilmars and Maréchal2023). Comme l’affirment les auteurs dans les conclusions qu’ils tirent de leurs recherches,

[l]es cas présentés dans cet article montrent que les politiques de plafonnement des revenus et du patrimoine pourraient jouer un rôle en cette période de crise, à condition qu’elles soient intégrées dans des ensembles de réformes politiques plus larges comprenant des mesures visant à atténuer les problèmes auxquels de nombreux ménages sont confrontés. (François etal., Reference François, Wilmars and Maréchal2023, p.11)

Leur étude des cas concrets d’application d’une limite au capital et aux revenus possédés par les individus semble donc soutenir l’idée que le limitarisme est plus facilement défendable et applicable lorsqu’il fait partie d’un ensemble plus vaste de mesures. Cette concordance entre leur conclusion et la nôtre ne garantit évidemment pas son exactitude, mais elle accentue tout de même l’intérêt que pourrait représenter, pour de futures recherches, la possibilité de considérer le limitarisme comme mesure d’un plan politique de plus grande envergure et également d’avoir davantage recours à cette intégration dans un tout lorsqu’il s’agit de répondre à des objections. Cependant, appliquer conjointement le limitarisme avec d’autres mesures peut se révéler difficile. Par exemple, Marc-Kevin Daoust et Victor Babin (Reference Daoust and Babin2023, p.421-424) remarquent que les recommandations formulées à l’intention des décideurs politiques ont souvent la forme d’une liste numérotée. Cela ne permet pas de relever les interactions entre les différentes recommandations. Il en découle alors un risque que les décideurs appliquent seulement une partie des mesures sans considération pour le caractère inséparable des diverses recommandations. Il convient donc de porter une attention particulière à la forme que prend la présentation d’un programme qui recommande l’application d’un seuil limitariste.

Conclusion

L’objectif de cet article a été de montrer que l’argument de l’égalité politique en faveur du limitarisme n’est pas forcément à l’abri de l’objection des incitatifs négatifs. Bien que cette objection n’ait été adressée de manière substantielle qu’à l’endroit de l’argument des besoins urgents non satisfaits, une discussion de l’argument de l’égalité politique est incomplète si elle ne la considère pas. Pour illustrer ce point, nous avons d’abord présenté le limitarisme ainsi que l’argument de l’égalité politique et l’argument des besoins urgents non satisfaits. Par la suite, nous avons expliqué ce à quoi correspond l’objection des incitatifs négatifs et nous nous sommes attardé à la relation entre celle-ci et l’argument de l’égalité politique dans la littérature. Nous avons montré qu’aucune raison suffisante n’avait été donnée afin de justifier adéquatement la résistance de cet argument à l’endroit de l’objection des incitatifs négatifs. Nous nous sommes appuyé sur les travaux de Friedman et de Galston pour formuler concrètement une objection qui met en lumière l’influence négative potentielle des incitatifs économiques négatifs sur l’égalité politique. Finalement, nous avons exploré deux pistes de solution pour répondre à la nouvelle objection que nous avons proposée. Nous sommes parvenu à la conclusion que l’objection des incitatifs négatifs n’est pas nécessairement fatale pour l’argument de l’égalité politique. Néanmoins, une réponse plus convaincante et développée appelle de futures recherches sur la question. C’est pourquoi nous avons formulé quelques recommandations pour de tels travaux que nous évoquerons en guise de conclusion à cet article.

Tout d’abord, les futures recherches sur le limitarisme gagneraient à élargir le corpus de données utilisées par Davis et Knauss afin de mieux étayer les conclusions concernant la relation entre les préférences politiques des individus et la croissance économique. La recherche sur le limitarisme tirerait également profit de travaux qui s’intéresseraient à son application dans divers contextes particuliers. Puisque le limitarisme est susceptible de générer des conséquences variées en fonction du contexte économique, l’analyser comme une théorie s’appliquant universellement peut avoir des limites lorsqu’il s’agit de répondre à des objections. Il serait également pertinent d’étudier plus en détail la possibilité d’améliorer la qualité de vie des individus dans un contexte d’absence ou de diminution de la croissance économique. Finalement, il semble avantageux de concevoir l’instauration d’un seuil limitariste non pas comme une mesure appliquée isolément, mais comme faisant partie d’un ensemble plus large de réformes. Approfondir chacun des éléments précédents aiderait à faire progresser la recherche sur le limitarisme.

Conflits d’intérêts

L’auteur n’en déclare aucun.

Footnotes

1 Cette distinction entre limitarisme et limitarisme économique n’est pas toujours précisée (voir par exemple Robeyns, Reference Robeyns2017 ; Reference Robeyns2024). Cependant, nous avons cru bon d’ajouter cette précision pour souligner le large éventail de possibilités qui s’offre aux théories limitaristes, même si, dans le cadre de cet article, nous allons restreindre notre propos à une catégorie bien précise de théorie limitariste.

2 Jobin ne s’exprime pas tout à fait dans ces termes, mais l’idée de base est la même. Par exemple, Jobin précise qu’il faut mettre en place un impôt sur l’héritage afin de limiter le capital que les individus peuvent posséder (2019, p.9). Nous n’avons pas souhaité prendre position sur cette affirmation puisqu’elle n’est pas nécessaire pour notre propos et nous ne croyons pas trahir l’idée fondamentale de la distinction opérée par l’auteur entre une limite au revenu annuel et une limite au capital.

3 Dans la suite de l’article, nous n’allons pas apporter chaque fois cette précision. Par défaut, quand nous parlons seulement de limitarisme, il s’agit de limitarisme économique.

4 Pour consulter le propos plus détaillé de Robeyns sur ces différents mécanismes, voir Robeyns, Reference Robeyns2017, p.6-10.

5 Nous rappelons ici que cet article ne vise pas à analyser les différentes réponses qui ont été formulées pour montrer les limites de l’objection des incitatifs négatifs. Nous renvoyons le lecteur qui souhaiterait en savoir davantage sur ce point à des textes que nous avons mentionnés en introduction, soit Harel Ben-Shahar, Reference Harel Ben-Shahar2019 ; Timmer, Reference Timmer2019 ; Robeyns, Reference Robeyns2019 ; Robeyns, Reference Robeyns2022 ; Malleson, Reference Malleson2023 ; Robeyns, Reference Robeyns2024.

6 Nous sommes ici toujours dans une perspective où nous acceptons sans discuter l’objection des incitatifs négatifs. Cette précision nous semble importante puisque l’on pourrait nous objecter qu’il y a plutôt deux façons d’illustrer l’inefficacité de l’objection des incitatifs négatifs sur cet argument : (1) montrer que les incitatifs négatifs ne nuiront pas à l’égalité politique et (2) montrer que le limitarisme ne génère pas d’incitatifs négatifs.

7 Le titre officiel en anglais est le World Values Survey.

References

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