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F. Boily (2022), Génération MBC. Mathieu Bock-Côté et les nouveaux intellectuels nationalistes conservateurs Frédéric Boily, Québec : Les Presses de l'Université Laval, 2022, 193 p.

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F. Boily (2022), Génération MBC. Mathieu Bock-Côté et les nouveaux intellectuels nationalistes conservateurs Frédéric Boily, Québec : Les Presses de l'Université Laval, 2022, 193 p.

Published online by Cambridge University Press:  26 June 2025

Frédérick Guillaume Dufour*
Affiliation:
Université du Québec à Montréal, Montréal, Canada (dufour.frederick_guillaume@uqam.ca)
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Abstract

Information

Type
Book Review/Recension
Copyright
© The Author(s), 2025. Published by Cambridge University Press on behalf of the Canadian Political Science Association (l’Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique

Dans Génération MBC, l'analyste de la pensée conservatrice canadienne, Frédéric Boily, se penche sur le jeune courant conservateur québécois adoubé par Mathieu Bock-Côté. Boily préfère le thème « famille de penseurs » à celui de réseau ou à celui d'auteur collectif. Si sa méfiance à l'endroit du concept d'auteur collectif me semble justifiée, il me semble que celui de réseau, entendu de façon souple, demeure pertinent pour désigner ce groupe au sein duquel il ne faut pas sous-estimer les divergences, certains étant plus sociaux-démocrates et républicains, d'autres conservateurs, voir hostiles au libéralisme.

Le premier chapitre contextualise l’émergence de cette « génération ». Elle connaît sa socialisation politique dans le contexte qui suit le second référendum sur la souveraineté du Québec où la question nationale est en berne. Elle sera marquée autant par les attentats terroristes qui se multiplient, en France, notamment, et par la Grève étudiante de 2012 de laquelle certains se dissocient. L'ascension sur la scène médiatique de ce réseau a longtemps été inversement proportionnelle à la popularité du Parti Québécois. Non seulement le nationalisme en quête d'un État porté par le PQ voit son appui choir durant cette période, mais les différentes personnalités des chefs du PQ, de André Boisclair à Jean-François Lisée, en passant par Pauline Marois, ne semblent pas en mesure d'insuffler un nouveau souffle au projet souverainiste. D'où, estime Boily, le style passionnel, pugnace, voire grégaire, du réseau qui cherche à dynamiser la question nationale et à mettre au ban ceux chez qui elle manque de convictions.

À cet égard, il y a lieu de se demander dans quelle mesure le discours porté par ce courant n'a pas alimenté une prophétie autoréalisatrice. À force de caricaturer les courants interculturalistes au sein du mouvement nationaliste québécois, d'autres jeunes de la même génération n'en sont-ils pas venus à quitter le navire souverainiste ou à réduire de façon tout aussi caricaturale l'hétérogénéité du mouvement nationaliste à un mouvement conservateur, voir à un mouvement de nationalistes blancs chez les plus démagogues?

Les importants chapitres 2 à 4 portent sur la relation de la Génération MBC avec le libéralisme, dont elle se réclame parfois de façon plus ou moins convaincante. Le politologue souligne que, pour l'essentiel, la Génération MBC conçoit surtout ce dernier comme une camisole de force qui étouffe les communautés nationales. Le multiculturalisme, lui, est conçu comme une religion politique. Dans des analyses souvent aussi peu sociologiques que peu empiriques, ce multiculturalisme est invoqué comme une variable indépendante permettant d'expliquer tout et son contraire. Or, même lorsque l'on peut s'entendre pour affirmer que certains effets attribués au multiculturalisme ne seraient pas souhaitables, il est souvent difficile de comprendre comment le multiculturalisme serait sensé, à lui seul, les expliquer. La rectitude politique, elle, est conçue comme pavant la voie à rien de moins qu'un nouveau totalitarisme. Ici, tout comme chez les opposants à MBC qui voient de la suprématie blanche partout, nous assistons à une concurrence des hyperboles. Les derniers chapitres de l'ouvrage analysent le type de conservatisme promu par la Génération MBC et le situe dans le contexte où le mouvement souverainiste bas de l'aile. Dans chaque chapitres, Boily laisse la chance au coureur. On est loin ici de la rhétorique stérile du « c'est pas moi, c'est lui » ou du « la droite fait bien pire » que l'on retrouve chez des critiques de MBC qui se contentent d'alimenter la polarisation qu'il mobilise. Boily n'en conclut pas moins que le recours systématique à l'hyperbole et à des formules extravagantes fini par desservir un propos qui s’éloigne souvent autant du canon libéral que d'un conservatisme modéré.

Parmi les ouvrages portant sur ce renouveau conservateur au Québec, Générations MBC est celui qui respecte le plus le principe de générosité interprétative, mais le verdict n'en est que plus précis. La revendication par ce réseau d'une filiation avec la pensée sociologique et libérale d'un Raymond Aron suscite au mieux l'amusement. On a effectivement affaire chez ces essayistes à un style polémiste qui est malheureusement à des années lumières de l'auteur de Les étapes de la pensée sociologique, qui fut aussi le plus grand défenseur du libéralisme en France.

Il y a une certaine tension dans la volonté de Boily de classer le courant en question sur une échelle idéologique. Parce que ces auteurs promeuvent clairement la communauté nationale au-delà du libéralisme politique, le politologue est tenté de les associer au communautarisme. Cette désignation est cocasse, mais limitée. Cocasse, parce qu'elle met ainsi dans la même famille ces nationalistes conservateurs et des fédéralistes comme Charles Taylor, qui ont de surcroit en commun de partager un amour de Herder. Ce parallèle a évidemment des limites. Des communautariens comme Taylor estiment que les luttes pour la reconnaissance s'inscrivent dans une conception élargie du libéralisme, alors que ces intellectuels s'acharnent surtout à montrer que le libéralisme est un obstacle au nationalisme qu'ils appellent de leurs vœux. En conclusion de l'ouvrage, Boily me semble plus convainquant quand il affirme que c'est plutôt du côté de l'illibéralisme et d une forme populiste de conservatisme que lorgnent et logent ces auteurs. Ce n'est pas que ceux-ci ne savent pas manier les arguments libéraux quand ils desservent leurs finalités, mais qu'une fois le bilan établi, l'absence de constance dans l'engagement à l’égard de ces arguments pèse lourd.

En conclusion de l'ouvrage, Boily rappelle qu'en 2012, le politologue Alain Noël indiquait dans un commentaire sur l'ouvrage Les nouveaux visages du nationalisme conservateur au Québec, de Jean-Marc Piotte et Jean-Pierre Couture, qu'il ne pensait pas que certains de ces intellectuels « déconnecté » avait de l'influence en-dehors d'une petite partie du monde universitaire. À la lecture du livre de Boily, on serait tenté d'inverser le diagnostic de Noël. Treize années plus tard, ce n'est pas dans le champ académique que ce réseau a de l'influence, mais d'abord dans le champ médiatique, puis politique. D'où le fait que ces intellectuels se perçoivent comme « censurés », ce qui n'est pas entièrement faux dans le champ académique, alors que leurs adversaires les perçoivent comme « omniprésents », ce qu'ils sont effectivement dans une partie du champ médiatique.