Introduction
Au plus haut niveau de l’État, les relations entre les sphères politique et administrative sont par nature ambiguës. En principe, « au Canada, on dit que les hauts-fonctionnaires de la fonction publique devraient être ‘non partisans, axés sur les opérations mais politiquement sensibles’, tandis que les conseillers politiques devraient être ‘partisans, politiquement orientés mais sensibles aux opérations’ » (Schacter et Haid, Reference Schacter and Haid1999: 31).Footnote 1 Il s'agit là de la vison classique (wilsonienne ou wébérienne) de la séparation politico-administrative.
La qualité des relations entre les acteurs politiques et administratifs qui travaillent de concert est cependant cruciale pour assurer le bon fonctionnement de l’État. Ils discutent et collaborent régulièrement afin d’élaborer et de mettre en œuvre des politiques publiques ou développer des lois qui répondent aux besoins et aspirations de la population. Les relations qu'ils entretiennent sont encadrées par des normes et conventions qui varient d'un pays à l'autre et qui évoluent au fil du temps.
La relation entre les fonctionnaires et les membres de l'exécutif est généralement bien documentée (Bourgeault, Reference Bourgault2007 et Reference Bourgault2011; Grube et Howard, Reference Grube and Howard2016a et Reference Grube and Howard2016b). Les liens entre les sous-ministres, leurs ministres ou leur premier ministre sont effectivement au cœur de l’étude de la prise de décision dans les organisations publiques (Lodge, Reference Lodge, Painter and Guy Peters2010; Heintzman, Reference Heintzman2016). Les relations entre les députés et les fonctionnaires parlementaires sont quant à elles beaucoup moins étudiées (Cauchon, Reference Cauchon2008) et constituent une zone grise de la littérature scientifique (Villeneuve-Siconnelly, Reference Villeneuve-Siconnelly2021). Cette situation est surprenante si l'on considère que les fonctionnaires parlementaires œuvrent dans un environnement différent et plus complexe que leurs collègues de la branche exécutive (Gélinas, Reference Gélinas1968 : 164–165).
Alors, qu'est-ce qui distingue un fonctionnaire parlementaire d'un fonctionnaire qui relève de l'exécutif ? Sur le site de l'Assemblée nationale du Québec,Footnote 2 le rôle des personnes qui y travaillent est défini ainsi : « L'administration de l'Assemblée nationale soutient les députés dans l'exercice de leurs fonctions parlementaires et contribue à la réalisation de la mission de l'institution ». Plus précisément, l'administration parlementaire :
– « offre des services aux députés en appui à leur rôle de législateur et de contrôleur de l'activité gouvernementale,
– fait connaître et comprendre l'institution et le travail des députés aux citoyens, facilite l'accès à l'institution parlementaire et contribue à son rayonnement, notamment dans ses rapports avec d'autres parlements,
– assure la conservation et la mise en valeur du patrimoine documentaire, mobilier et immobilier, gère ses ressources humaines, matérielles, financières et informationnelles et apporte son soutien dans ces domaines aux députés et à leur personnel ».
En prenant ancrage dans le contexte de la France, Larousse définit le fonctionnaire parlementaire comme étant un « fonctionnaire de l'Assemblée nationale ou du Sénat, doté d'un statut spécifique ».Footnote 3 D'ailleurs, « L'autonomie de gestion a toujours été considérée comme un des attributs essentiels de la souveraineté parlementaire» (Klein, Reference Klein1980 : 131). Dans le cas du Québec, le budget de l'Assemblée nationale est, par exemple, distinct de celui de l'exécutif. Le Bureau de l'Assemblée, composé des représentants des partis, est également responsable de son administration. Notons cependant que « les fonctionnaires et employés de la Législature » sont tout de même assujettis à la Loi sur la fonction publique québécoise (Art2. Alinéas 3).Footnote 4
Évoluant quotidiennement dans un environnement partisan, les fonctionnaires parlementaires doivent théoriquement appuyer les élus de tous les partis représentés dans une assemblée, et ce, sans discrimination. Ils ne sont donc pas au service de la branche exécutive, mais œuvrent au bon fonctionnement, à la pérennité et à l'indépendance de la branche législative. Ils veillent ainsi à ce que les débats puissent s'y dérouler sereinement. Cette vision est-elle fondée ? Est-elle partagée entre les élus et les fonctionnaires parlementaires ?
Offrir un éclairage à ces interrogations implique de comprendre comment les élus et les fonctionnaires perçoivent leurs relations, et ce, tant sur le plan de la distribution du pouvoir, des rôles qui reviennent à chacun, que des attentes qu'ils entretiennent de part et d'autre. Ainsi, ont-ils une vision commune de la hiérarchie institutionnelle au sein du parlement ? Comment conçoivent-ils le rôle du fonctionnaire parlementaire ? Ce rôle est-il différent de celui de fonctionnaire de l'exécutif ou de celui de conseiller politique ? Les députés et les fonctionnaires parlementaires ont-ils la même conception des qualités attendues des fonctionnaires parlementaires ?
Pour répondre à ces questions, nous avons entrepris une étude de cas dans un parlement, soit l'Assemblée nationale du Québec. Ce parlement regroupe 125 députés qui évoluent dans un système politique de type Westminster. Le gouvernement est responsable devant la chambre et les ministres y sont aussi députés. Parlement unicaméral au sein de la fédération canadienne, l’étendue des compétences de l'Assemblée nationale du Québec est régie par la Loi constitutionnelle de 1867. Dès son origine, ses règles de fonctionnement reposaient sur des normes non écrites, héritées du Royaume-Uni.
Au printemps 2021, nous avons administré un questionnaire en ligne auprès des députés et des fonctionnaires parlementaires. À cette période, l'Assemblée nationale comptait 503 employés réguliers (Assemblée nationale du Québec, 2022 : 43).Footnote 5 Après deux relances, nous avons été en mesure de compiler les données auprès de 15 députés et de 73 fonctionnaires parlementaires. Même s'il s'agit d'une population fermée, nous sommes conscients des limites que pose le taux de réponse qui s'avère faible, en particulier pour les élus (15/125 ou 12%). Nous en tiendrons compte dans l'analyse des résultats. Respectant la zone paritaire, comme l'ensemble des députés de la législature, l’échantillon de députés est toutefois représentatif sur le plan du genre. Il inclut trois générations (Boomers, X et Y), et compte des représentants en provenance de différents groupes parlementaires. Quant à l’échantillon de fonctionnaires parlementaires, la vaste majorité (un peu plus de 85% des répondants) entretient des contacts avec les élus, seulement 2,7% d'entre eux ont indiqué n'avoir jamais d’échanges avec les élus et 12% à n'en avoir que rarement. Cet échantillon est composé au deux-tiers de femmes et inclut également des répondants issus de 4 générations (Boomers, X, Y et Z). De même on y retrouve 92% d'employés ayant un emploi permanent et 8% travaillant à contrat. Les 11 directions y sont représentées. La direction de la séance et de la procédure parlementaire (avec 6 représentants), suivie de la Direction du secrétariat général et du Bureau (avec 5 représentants) sont cependant celles qui regroupent le plus grand nombre de répondants à cette question d'identification.
1. Cadre opératoire et hypothèses
En théorie, les systèmes administratifs issus du modèle de Westminster se fondent sur une séparation marquée entre les sphères politique et administrative (Wilson et Barker, Reference Wilson and Barker1995: 131–132; Page, Reference Page2010). La vision stratégique de l'administration de l'Assemblée nationale du Québec reflète d'ailleurs cette ambition et énonce quatre valeurs : 1) la neutralité, 2) l'ouverture, 3) la pérennité et 4) l'excellence (Assemblée nationale, 2022 : 28). Dans cette perspective, chaque sphère y joue un rôle clairement déterminé. Les activités de nature politique telles que l’élaboration des politiques ou l'allocation des ressources relèvent exclusivement des élus, tandis que les fonctionnaires ont le monopole sur la dimension administrative comme la mise en œuvre des politiques ou la gestion des ressources (Svara, Reference Svara2006).
Selon ce prisme, la séparation entre ce qui relèverait du domaine politique et du domaine administratif serait clairement définie. La Figure 1 illustre cette séparation en, « établissant une ligne de démarcation entre les politiciens élus, dont le rôle est de décider de la politique, et les administrateurs, dont le travail consiste à l'exécuter – chacun demeurant sur son propre territoire » (Goodnow, Reference Goodnow2003 cité par Alford et al., Reference Alford, Hartley, Yates and Hughes2017 : 754). Cette ligne de démarcation a pour principale fonction d’éviter la perception d'une politisation de l'action administrative et d'empêcher l'implication politique des administrateurs publics (Grube et Howard, Reference Grube and Howard2016b).

Figure 1. Ligne de responsabilité entre les domaines administratif et politique
Source : Adaptation par les auteurs de Alford et collègues (Reference Alford, Hartley, Yates and Hughes2017 : 753)
Cette dichotomie a cependant rarement été observée empiriquement. Certains auteurs se demandent même si cette ligne de démarcation existe vraiment, « parce qu'elle est souvent violée dans la pratique par les dirigeants politiques et les gestionnaires publics » (Alford et al., Reference Alford, Hartley, Yates and Hughes2017 : 754), ou s'il s'agit simplement d'une « fiction utile » (Peters, Reference Peters2001 : 82).
Historiquement, le modèle de Westminster a également séparé le travail des fonctionnaires parlementaires de ceux de l'exécutif. Par exemple, les greffiers, sergents d'armes, ou autres employés de la Chambre des communes ou du Sénat du Canada (et auparavant au Bas-Canada) sont des employés du Parlement, ayant un statut légal distinct des fonctionnaires de l'exécutif. Au Québec, si les fonctionnaires parlementaires sont certes des employés de l'Assemblée nationale, ils sont tout de même assujettis au même cadre légal, la loi sur la Fonction publique québécoise, que leurs collègues de l'exécutif.
Une autre façon de voir la relation entre les sphères politique et administrative repose sur un continuum défini en fonction de la force des liens de subordination de l'administration par le politique et de la distinction entre les rôles de chacun (Svara, Reference Svara2006). En s'appuyant sur cette idée de continuum, Alford et collaborateurs (Reference Alford, Hartley, Yates and Hughes2017) suggèrent que l'interface politico-administrative se situe plutôt dans une zone violette aux contours indéfinis. Cette zone, représentée dans la Figure 2, est « un espace partagé entre les politiciens et les agents publics » (Alford et al., Reference Alford, Hartley, Yates and Hughes2017 : 755, trad.).

Figure 2. Ligne floue entre les domaines politique et administratif
Source : Adaptation par les auteurs de Alford et al. (Reference Alford, Hartley, Yates and Hughes2017 : 753)
Plusieurs arguments tendent à expliquer et parfois à justifier les actions entreprises dans la zone pourpre. On dénote d'abord la complexification de la gestion publique et l’émergence de nouveaux problèmes. Cela rendrait obsolètes les visions wilsonienne et wébérienne, également remises en question par les tenants du Nouveau management public (NMP). Dans cet esprit, il serait nécessaire que les fonctionnaires empiètent dans la zone pourpre pour accomplir efficacement leur travail et accompagner adéquatement les responsables politiques (Alford, Reference Alford, Hartley, Yates and Hughes2017). De plus, l'avènement du NMP et de la nouvelle gouvernance politique aurait eu pour conséquence de politiser davantage le travail des hauts fonctionnaires (Grube et Howard, Reference Grube and Howard2016a : 473). Enfin, le profil des hauts fonctionnaires change, car ils seraient de plus en plus souvent appelés à mobiliser leurs compétences politiques (Savoie, Reference Savoie2003). Dans ce contexte, les fonctionnaires de l'exécutif ne seraient plus loyaux uniquement au gouvernement élu, comme c’était le cas dans la vision de la gouvernance traditionnelle de Westminster, mais semblent être de plus en plus « aveuglément partisans » (Aucoin, Reference Aucoin2012 : 188).
Ce cadre nous amène à nous questionner sur l'existence ou non de cette zone pourpre dans un parlement où domine le modèle de Westminster. Rappelons que l'existence d'une telle zone se traduit par une distinction plus floue entre ce qui relève du domaine politique et du domaine administratif.
Dans un environnement hautement partisan comme celui d'un parlement, comment l'indépendance administrative et la neutralité des fonctionnaires parlementaires sont-elles possibles? Et comment sont-elles vécues ? Afin de comprendre cette relation entre les élus et les fonctionnaires parlementaires et de vérifier si les deux groupes partagent une vision commune de celle-ci, nous nous appuyons sur quatre hypothèses :
H1) Les députés et les fonctionnaires parlementaires ont une conception commune de la hiérarchie institutionnelle.
H2) Les députés et les fonctionnaires parlementaires perçoivent le rôle de ces derniers différemment de celui des fonctionnaires œuvrant au sein de l'exécutif.
H3) Les députés et les fonctionnaires parlementaires perçoivent le rôle de ces derniers différemment de celui du personnel politique.
H4) Les députés et les fonctionnaires parlementaires ont la même conception des qualités attendues de ces derniers.
En lien avec notre cadre opératoire, la première hypothèse traite de l'indépendance du niveau administratif par rapport au niveau politique. Elle permettra de vérifier si les députés et les fonctionnaires parlementaires ont une conception commune de la hiérarchie au sein du parlement. En d'autres termes, les fonctionnaires parlementaires sont-ils considérés comme étant neutres et indépendants, subordonnés au pouvoir politique, ou dans une zone pourpre tel que le suggère la littérature ?
Nous utilisons plusieurs indicateurs pour valider l'hypothèse H1 et cerner les perceptions des deux groupes. Le rôle des fonctionnaires parlementaires est évalué selon 1) leur allégeance principale (sont-ils d'abord au service du politique ou de l'institution?), 2) le respect strict des règles ou de la souplesse en cas d'influence politique, 3) la perception qu'ils ont de l’élu comme étant leur supérieur hiérarchique ou non, (4) l'identification de leur supérieur hiérarchique entre leur supérieur administratif ou le député et (5) le pouvoir direct que les élus ont sur le travail des fonctionnaires parlementaires.
Toujours en lien avec les principes de neutralité et d'indépendance identifiés précédemment, les hypothèses H2 et H3 nous permettent d’évaluer si les répondants attribuent ou non un rôle de soutien à l'exécutif, donc au gouvernement, ou même un rôle politique aux fonctionnaires parlementaires. Rappelons que contrairement au fonctionnaire relevant de l'exécutif, les fonctionnaires parlementaires doivent évoluer dans un environnement plus complexe en raison du caractère multipartite de leur institution et du contexte partisan des débats à l'Assemblée nationale. En conséquence, le rôle des fonctionnaires parlementaires est-il perçu différemment de ceux qui œuvrent dans les ministères ou autres organismes relevant de la branche exécutive de l’État ? Ce rôle est-il perçu différemment de celui de conseiller politique (attachées politiques/attachées parlementaires) doté d'un rôle partisan et embauché par un élu ?
Nous utilisons deux indicateurs pour tester l'hypothèse H2. Il s'agit de la perception de la réalité vécue par les fonctionnaires à l'Assemblée nationale par rapport à celle vécue dans un ministère. S'y ajoute l'existence ou non d'une distinction perçue quant au traitement envers un ministre par rapport à un autre type de député. Un traitement privilégié envers un membre de l'exécutif indiquerait un préjugé favorable à l’égard de l'exécutif. Pour l'hypothèse H3, nous avons également retenu deux indicateurs, soit la confusion entre le rôle conseil du fonctionnaire parlementaire avec celui du personnel politique et la fréquence à laquelle un fonctionnaire parlementaire prodiguerait un conseil politique à un élu. Cette hypothèse nous permet d’évaluer dans quelle mesure le travail des fonctionnaires parlementaires se déroulent dans la zone pourpre identifiée par Alford et collaborateurs (Reference Alford, Hartley, Yates and Hughes2017).
Dans cette veine, et en lien avec les constats de Grube et Howard (Reference Grube and Howard2016b), de Aucoin (Reference Aucoin2012) et de Savoie (Reference Savoie2003) quant à la recherche d'aptitudes de plus en plus politiques chez les fonctionnaires de l'exécutif, nous nous intéressons aux qualités qui sont les plus valorisées pour les fonctionnaires parlementaires. En théorie, celles qui sont recherchées auprès du personnel administratif ou politique ne devraient pas être les mêmes. Pour étudier l'hypothèse H4, nous avons d'abord identifié différentes qualités pouvant être associées aux fonctionnaires parlementaires ou au personnel politique. Il s'agit de la disponibilité, du sens politique, de la loyauté, de la discrétion, de la neutralité et de la compétence. Quoique non exclusives, les trois premières seraient davantage associées au personnel politique (Montigny et Jacob, Reference Montigny and Jacob2019), alors que les trois autres seraient davantage associées aux membres du personnel administratif. La priorisation de ces différentes qualités selon que l'on soit député ou fonctionnaire parlementaire constitue nos indicateurs.
La validation de nos trois premières hypothèses sera mesurée par la constitution d'un indice composé. Ainsi, chacun des indicateurs sera validé si un écart perceptuel entre les groupes de moins de 10% est constaté. À l'intérieur de cette marge, nous considérons que l’écart perceptuel observé demeure mineur. La somme de ces indicateurs nous permettra de juger du niveau de validation (+1 si validé et 0 si non validé). Quant à l'hypothèse H4, il suffira de comparer l'ordre de priorisation des qualités valorisées dans chacun des groupes. Pour valider cette hypothèse, nous analyserons et comparerons les deux premières et les deux dernières qualités identifiées par les répondants de chacun des groupes.
2. Résultats
Les mêmes questions ont été posées aux deux groupes en lien avec chacun des indicateurs retenus. Cela nous permet d'effectuer une comparaison des perceptions de chacun en lien avec chacune des questions. C'est ce que nous ferons en présentant les résultats associés aux quatre hypothèses retenues.
2.1. Hypothèse 1 : La conception de la hiérarchie institutionnelle
Quelle est la principale allégeance des fonctionnaires parlementaires ? Quelle est la perception du rapport hiérarchique entre l’élu et le fonctionnaire parlementaire ? Une personne élue peut-elle dire à un fonctionnaire parlementaire quoi faire et comment faire son travail ? Envers qui les fonctionnaires parlementaires sont-ils d'abord redevables ? Ces questions ont été posées aux élus (n = 15) et aux fonctionnaires parlementaires (n = 73) composant notre échantillon. Le taux de réponse varie d'une question à l'autre.Footnote 6
Pour notre premier indicateur, portant sur la principale allégeance des fonctionnaires, les répondants devaient se positionner sur une échelle de 1 à 5 selon qu'ils pensent que les fonctionnaires parlementaires sont principalement au service des personnes élues, ou au service de l'institution. Les catégories 1 et 2 signifient qu'ils sont aux services des élus, 4 et 5 qu'ils sont au service des institutions et 3 neutres entre les deux.
À la lumière des résultats présentés au Graphique 1, les fonctionnaires parlementaires seraient, selon les élus, davantage au service de l'institution (10 élus sur 15), alors que trois élus ont répondu qu'ils seraient davantage au service des députés. Deux élus ont choisi une position mitoyenne. À 39 répondants sur 71, les fonctionnaires parlementaires ont également majoritairement choisi une fidélité première envers l'institution. Ils sont toutefois 23 à estimer être d'abord au service des députés (tous partis confondus) et neuf à avoir choisi le positionnement intermédiaire. Si les deux groupes identifient d'abord l'allégeance principale des fonctionnaires envers l'institution, paradoxalement, la proportion s'avère moins élevée auprès du groupe des fonctionnaires parlementaires qu'auprès des élus. Cet écart peut s'expliquer par le fait que les fonctionnaires parlementaires se considèrent comme des personnes qui viennent en soutien au travail des parlementaires plutôt que comme des personnes qui servent le Parlement.

Graphique 1. Allégeance principale – Au service de qui travaille le fonctionnaire parlementaire?
Le respect strict des règles constitue notre deuxième indicateur. Il permet d’évaluer la perception des répondants quant à la volonté des fonctionnaires parlementaires d'accommoder ou non les élus en interprétant les règles administratives de l'Assemblée de manière libérale. Cela pourrait témoigner d'une relation hiérarchique des uns envers les autres ou encore d'un souci de service à la clientèle. Les répondants étaient également amenés à se prononcer sur une échelle de 1 à 5.
Pour une vaste majorité des députés (9 sur 15) les fonctionnaires parlementaires s'assurent d'abord du respect strict des règles administratives. Seulement trois élus ont indiqué que les fonctionnaires répondaient avec souplesse aux demandes de la députation. La réponse des fonctionnaires parlementaires à la même question est toutefois plus nuancée. Ainsi, 33 des 68 répondants à cette question considèrent qu'ils s'assurent de respecter strictement les règles administratives et 20 croient plutôt qu'il importe de faire preuve de souplesse. 15 ont adopté une position mitoyenne. Le Graphique 2 illustre cet écart perceptuel entre les deux groupes, même si un consensus se dégage à l'effet que les fonctionnaires parlementaires sont les « gardiens » des règles administratives sur la colline parlementaire.

Graphique 2. Respect des règles – Les fonctionnaires parlementaires répondent-ils avec souplesse aux demandes de la députation, ou s'assurent-ils d'abord du respect strict des règles administratives?
Le troisième indicateur appelle à une réponse moins nuancée quant à la place hiérarchique des fonctionnaires parlementaires. La personne élue est-elle ou non le supérieur hiérarchique d'un fonctionnaire parlementaire ? Du côté des élus, 12 députés sur 14 ont répondu que non. La vaste majorité des fonctionnaires parlementaires ayant répondu à cette question, 58 sur 71, partagent cette opinion. Comme l'indique le Graphique 3, seulement 13 pensent le contraire.

Graphique 3. Place dans la hiérarchie – Quel est le rapport hiérarchique entre les élus et les fonctionnaires parlementaires ?
De façon encore plus pointue, nous avons également souhaité connaitre la perception des deux groupes quant aux supérieurs hiérarchiques des fonctionnaires parlementaires, et ce, en proposant différentes fonctions de l'organigramme de l'Assemblée nationale (Graphique 4). Pour les députés, le Secrétaire général arrive en premier, suivi du supérieur administratif immédiat du fonctionnaire. Cette réponse peut s'expliquer par le fait que c'est davantage vers le Secrétaire général que les parlementaires se tournent pour les questions touchant aux fonctionnaires parlementaires, car ils ne sont sans doute pas au fait de la structure organisationnelle de tous les services administratifs de l'Assemblée nationale et qu'ils se tournent d'abord vers la personne qui incarne à leurs yeux l'autorité administrative. Chez les fonctionnaires parlementaires, c'est plutôt le supérieur administratif direct qui arrive en premier, ce qui est compréhensible dans une organisation hiérarchique. Sur 71 répondants, 34 ont indiqué que les fonctionnaires parlementaires étaient d'abord redevables envers la personne occupant le rôle de supérieur administratif, 15 personnes ont identifié le Secrétaire général, suivi de trois répondants pour la présidence de l'Assemblée. Fait intéressant, 19 fonctionnaires et quatre élus ont mentionné la redevabilité envers toutes ces réponses incluant les députés et la présidence. En ne retenant que les répondants qui considèrent que seul un membre de l'administration peut être le supérieur hiérarchique d'un fonctionnaire parlementaire, on obtient un résultat de 9 répondants sur 14 pour les élus et de 49 sur 71 pour le groupe des fonctionnaires parlementaires.

Graphique 4. Identification du supérieur hiérarchique – Envers qui les fonctionnaires parlementaires sont-ils d'abord redevables ?
Nous avons enfin récolté des données pour mesurer la perception du pouvoir direct des députés sur les fonctionnaires parlementaires. La question posée prévoyait de situer la réponse sur une échelle de 1 à 5. Cette question porte donc sur la perception d'ingérence de la députation dans le travail des fonctionnaires parlementaires. Les données présentées au Graphique 5 indiquent qu'aucun élu ne considère clairement avoir ce pouvoir sur les fonctionnaires parlementaires. 11 élus répondent que ce n'est pas le cas alors que 4 autres choisissent une réponse intermédiaire.

Graphique 5. Pouvoir direct de l’élu – Un élu peut-il dire aux fonctionnaires parlementaires ce qu'ils doivent faire et comment faire leur travail ?
Du côté des fonctionnaires parlementaires, là aussi une majorité claire se dégage. Ils sont 43 sur 58 à avoir répondu être en désaccord avec la question. Ils affirment ainsi leur indépendance face aux acteurs politiques. 11 d'entre eux ont choisi une réponse intermédiaire. Il est cependant intéressant de noter qu'il s'agit de la question à laquelle les fonctionnaires parlementaires ont le moins répondu et que 4 fonctionnaires estiment qu'un élu peut les diriger dans leur travail.
Le tableau suivant présente la comparaison en pourcentage des différentes réponses en lien avec nos indicateurs associés à l'hypothèse H1. Pour deux indicateurs sur cinq, on note un écart perceptuel supérieur à 10 entre les élus et les fonctionnaires parlementaires. Et dans ces deux cas, ce sont les fonctionnaires parlementaires qui indiquent dans une plus forte proportion que la frontière entre le domaine administratif et le domaine politique serait plus floue.
Pour deux autres indicateurs, l’écart perceptuel est minime. Alors que pour le cinquième, l’écart se situe sur la ligne à 10. C'est le seul indicateur où la ligne entre le domaine administratif et politique apparaît plus floue chez les répondants élus. Cela dit, l'agrégation des résultats en un indice composé nous donne un taux positif de 3 sur une possibilité maximale de 5.
Tableau synthèse H1

À la lumière de ces résultats, l'hypothèse H1 qui énonce que les députés et les fonctionnaires parlementaires ont une conception commune de la hiérarchie institutionnelle est partiellement confirmée. Toutefois, pour une majorité de répondants des deux groupes, il existerait une frontière claire sur le plan hiérarchique entre ce qui relève du domaine politique et du domaine administratif. Et c'est la hiérarchie administrative qui prévaut pour encadrer le travail des fonctionnaires parlementaires.
2.2. Hypothèse 2 : Un rôle distinct pour les fonctionnaires parlementaires par rapport aux fonctionnaires de l'exécutif
Notre deuxième hypothèse vise à cerner la perception des deux groupes face au caractère particulier et distinctif du travail des fonctionnaires parlementaires. Partagent-ils une perception commune ? Perçoivent-ils une distinction quant au rôle des fonctionnaires œuvrant auprès de l'exécutif dans un ministère ? Soulignons que contrairement à leurs homologues du Parlement canadien qui ne sont pas régis par la même loi que leurs collègues fonctionnaires œuvrant dans des ministères ou organismes publics, les fonctionnaires parlementaires de l'Assemblée nationale du Québec sont régis par la même Loi de la fonction publique. Ce cadre commun permet d'ailleurs aux fonctionnaires parlementaires d'intégrer un ministère ou un organisme de l’État québécois, s'ils le souhaitent, au cours de leur carrière. Dans cette veine, si la ligne de démarcation entre le domaine politique et le domaine administratif devient floue dans la branche exécutive, est-elle également floue dans la conception des fonctionnaires et des élus de la branche législative ? Si tel est le cas, cela impliquerait un traitement privilégié envers les députés qui sont ministres, donc membres de la branche exécutive.
Deux premiers indicateurs sont associés à l'hypothèse H2. Le premier permet d’évaluer si le travail parlementaire est perçu comme étant le même que celui effectué au sein d'un ministère. Nous avons utilisé une échelle de 1 à 5 pour mesurer cette perception. Les résultats sont présentés au Graphique 6. Une vaste majorité des répondants, qu'ils soient députés (11 sur 15) ou fonctionnaires parlementaires (58 sur 73) considère que la réalité vécue à l'Assemblée nationale est différente de celle au sein d'un ministère. Seulement deux députés et cinq fonctionnaires parlementaires indiquent ne pas voir de réelle différence entre le travail effectué pour le pouvoir législatif ou exécutif.

Graphique 6. Distinction législatif-exécutif – Les fonctionnaires parlementaires vivent une réalité très différente de celle vécue par les fonctionnaires travaillant dans des ministères
Dans la même veine, nous avons voulu mesurer si les députés ou les fonctionnaires parlementaires considéraient qu'un député qui est également ministre est plus important que des élus qui ne sont pas membres de l'exécutif. Les fonctionnaires parlementaires traitent-ils les députés différemment selon leur fonction ? Les données présentées au Graphique 7 indiquent que pour une majorité d’élus (11 sur 14) et de fonctionnaires parlementaires (45 sur 71), il n'y a aucune distinction qui serait associée au statut d'un député. Un seul élu a indiqué que le président d'une commission serait plus important que les autres élus. Deux fonctionnaires parlementaires ont répondu la même chose. Trois élus ont indiqué que la présidence ou les vice-présidences de l'Assemblée sont plus importantes. Quinze fonctionnaires parlementaires ont également fait ce choix. S'ajoutent quatre répondants de ce groupe à avoir mentionné les whips et trois les leaders parlementaires comme étant plus importants. Seulement deux fonctionnaires parlementaires ont identifié les ministres comme étant plus importants. Aucun ne l'a fait du côté des élus. On ne peut donc pas conclure à un traitement privilégié selon l'appartenance d'un élu à la branche exécutive alors qu'une distinction existe selon la hiérarchie des fonctions parlementaires.

Graphique 7. Importance des ministres – Quelle fonction politique est la plus importante pour les fonctionnaires parlementaires ?
Le tableau de synthèse des résultats de l'hypothèse H2 présente les différents écarts perceptuels entre les deux groupes en lien avec le caractère distinct des fonctionnaires parlementaires par rapport aux fonctionnaires de l'exécutif. Notre indice composé s’élève à 2 sur un maximum de 2. Selon nos critères, l'hypothèse H2 est donc confirmée. Pour les deux groupes, il existe également une distinction claire entre la réalité des fonctionnaires de l'exécutif et du législatif. Quant à la perception d'une égalité de traitement entre les ministres et les autres députés, elle est presqu'unanime auprès des deux groupes.
Tableau synthèse H2

On note clairement une vision commune et élevée (+ de 70%) des deux groupes à l'effet qu'il ne faut pas confondre les réalités des fonctionnaires œuvrant dans le domaine la branche exécutive de l’État avec les fonctionnaires qui travaillent dans sa branche législative. Sur le plan de la recherche, cela implique que l'on doit considérer l’étude des relations entre les fonctionnaires parlementaires et les élus comme un champ (ou un sous-champ) distinct de celui qui porte sur les fonctionnaires de l'exécutif. Cela est d'autant plus vrai considérant l'impartialité constatée quant au traitement réservé aux députés, qu'ils soient ministres ou non. À 97% et 100%, les deux groupes ne considèrent pas que les ministres sont plus importants que les autres députés de l'Assemblée nationale. Or, dans la branche exécutive, le ministre occupe un rôle prépondérant dans le fonctionnement de son ministère, alors que l'appareil administratif du ministèreFootnote 7 doit veiller à la mise en œuvre de ses orientations. À l'Assemblée nationale, cette hiérarchie se traduit différemment, puisqu'il n'y a pas une seule personne qui incarne l'autorité. Pour les fonctionnaires parlementaires, les élus occupant des fonctions spécifiques et plus centrales (président de l'Assemblée ou de commission, whips, leaders parlementaires) sont perçus comme plus importants.
2.3. Hypothèse 3 : Un rôle distinct pour les fonctionnaires parlementaires par rapport aux conseillers politiques
L'hypothèse H3 vise quant à elle à évaluer si les fonctionnaires parlementaires sont perçus comme réalisant un travail de nature politique. Le Graphique 8 présente les données évaluant si le rôle conseil des fonctionnaires parlementaires auprès des élus est comparable à celui de leur personnel politique. On ne verrait alors pas de distinctions fortes entre le rôle des fonctionnaires parlementaires et celui du personnel des cabinets politiques. Les fonctionnaires parlementaires exerceraient aussi un rôle conseil régulier sur des enjeux à caractère politique.

Graphique 8. Les fonctionnaires parlementaires jouent un rôle de conseil auprès des élus équivalant à leur personnel politique
Dans notre échantillon, 11 élus sur 15 indiquent être en désaccord avec cette affirmation. Deux sont d'accord et deux offrent une réponse mitoyenne. Du côté des fonctionnaires parlementaires, 39 sur 65 ont exprimé leur désaccord, 15 ont plutôt exprimé leur accord et 11 ont exprimé une perception mitoyenne.
Même si une majorité claire de répondants indique voir une distinction entre le rôle des fonctionnaires parlementaires et du personnel politique, cet indicateur révèle un écart perceptuel entre les deux groupes. Les fonctionnaires parlementaires révèlent, dans une plus forte proportion, jouer un rôle de conseil équivalent à celui du personnel politique des élus.
Les données recueillies sur la fréquence des conseils politiques qui seraient prodigués aux élus par les fonctionnaires parlementaires nous permettent d’éclairer cette différence (voir Graphique 9). Seulement 2 députés sur 14 répondants ont indiqué recevoir régulièrement des conseils politiques de la part de fonctionnaires parlementaires. De leur côté, sur un total de 71 répondants, 28 fonctionnaires ont répondu qu'ils offraient parfois des conseils politiques aux élus et 5 ont mentionné que cela leur arrivait régulièrement. 38 fonctionnaires parlementaires ont quant à eux indiqué qu'ils ne prodiguaient jamais de conseils aux élus.

Graphique 9. Fréquence des conseils politiques – À quelle fréquence les fonctionnaires parlementaires prodiguent-ils des conseils de nature politique à un élu ?
Afin de mieux comprendre ce que les répondants pouvaient concevoir comme un conseil de nature politique, nous avons ajouté une question complémentaire. Ainsi, certains pensent qu'un conseil de nature politique survient lorsqu'il est question d'un « conseil juridique sur le contenu d'un projet de loi » ou de « conseiller les attachés politiques sur les méthodes à adopter pour le bon déroulement des travaux en Chambre ». D'autres ont noté qu'il s'agissait d'un « conseil en lien avec le contexte politique, les informations sensibles, les personnalités politiques controversées, les tensions politiques au sein d'un pays ou entre des partis politiques ». Ou encore, il s'agirait plutôt d'un « conseil qui n'est pas de nature purement procédurale, qui tient compte des relations entre les différents groupes parlementaires ». Ces différentes conceptions d'une même notion nous amènent à nuancer les résultats de ces deux indicateurs. En effet, un conseil pourrait être interprété comme étant de nature politique sans pour autant être partisan. Nous constatons tout de même une conception commune entre les deux groupes qui ont majoritairement répondu jamais et ce, de façon majoritaire.
Le tableau synthèse des résultats de l'hypothèse H3 présente les différents écarts perceptuels entre les deux groupes en lien avec le caractère distinct des fonctionnaires parlementaires avec le personnel politique. Notre indice composé s’élève à 1 sur un maximum de 2. Selon nos critères, l'hypothèse H3 ne peut donc être confirmée complètement.
Tableau synthèse H3

L'enjeu du caractère politique du rôle des fonctionnaires parlementaires s'avère donc plus nuancé. On constate un écart perceptuel de plus de 10 quant à la possibilité de jouer un rôle de conseil politique pour les fonctionnaires qui s'apparenterait à celui du personnel politique des députés. Nos données indiquent même que la ligne de démarcation entre le domaine politique et le domaine administratif serait proportionnellement plus claire pour les élus que pour les fonctionnaires (73,3% versus 60%). Les deux groupes s'entendent cependant quant à la fréquence des conseils politiques prodigués par les fonctionnaires. On note qu'une plus faible majorité (entre 53% et 57%) s'entend même pour dire que ce ne serait jamais le cas. Pour interpréter ces résultats, il faut tenir compte de l'interprétation possible de chacun des répondants quant à la nature des conseils politiques prodigués. Ainsi, un conseil politique n'est pas nécessairement de nature partisane, comme semblent l'indiquer les exemples fournis par les répondants. Quoi qu'il en soit, cet aspect mériterait d’être investigué davantage.
2.4. Hypothèse 4 : Des compétences recherchées
En plus de comparer les perceptions des deux groupes, l'hypothèse H4 visait à cerner les qualités les plus importantes que devraient posséder les fonctionnaires parlementaires. Nous présumions que les fonctionnaires parlementaires devaient combiner une diversité de qualités. Nous avions ainsi identifié six qualités, trois ayant une proximité plus grande envers les qualités recherchées auprès du personnel politique (disponibilité, loyauté et sens politique) et trois autres qui seraient davantage en lien avec des qualités recherchées dans la fonction publique (discrétion, neutralité et compétence). La qualité de neutralité est d'ailleurs l'une des valeurs identifiées par l'Assemblée nationale dans ses rapports annuels, tout comme l'excellence qui s'apparente à la compétence.
Le Graphique 10 présente les qualités que priorisent les députés (n = 15). La compétence se démarque clairement. Elle est le premier choix du plus grand nombre (4), mais aussi le deuxième choix du plus grand nombre (5). La qualité qui suit est celle de la discrétion. Elle est le premier choix de 3 élus. En revanche, les qualités les moins recherchées seraient le sens politique. Elle est le dernier choix de 6 répondants, suivi de la loyauté (3) et de la neutralité (3). Ces résultats confirment que les qualités les plus recherchées par les élus ne sont pas d'abord politiques. Que la neutralité des fonctionnaires ne soit pas priorisée par les élus étonne toutefois.

Graphique 10. Quelle est la qualité la plus importante que les fonctionnaires parlementaires doivent posséder ? Réponses des élus
Les députés pouvaient identifier d'autres qualités à prioriser. Un répondant a indiqué la patience et la bienveillance, tandis qu'une autre a mentionné la capacité d'aller « droit au but » et de « résumer un enjeu ».
Le Graphique 11 présente les réponses des fonctionnaires parlementaires. La neutralité arrive clairement au premier rang des qualités identifiées par le plus grand nombre de répondants (33). Elle est suivie par la compétence (20), puis par la discrétion (6 comme premier choix et 24 comme deuxième choix). Il s'agit de qualités qui sont en phase avec les valeurs classiques de l'administration publique. En grande partie, les fonctionnaires parlementaires ont aussi placé en dernière position les qualités qui étaient davantage associées au milieu politique. Ainsi, le sens politique se classe dernier pour 25 des répondants, suivi de la loyauté à 19 et de la disponibilité à 16.

Graphique 11. Quelle est la qualité la plus importante que les fonctionnaires parlementaires doivent posséder ? Réponses des fonctionnaires parlementaires
Des fonctionnaires ont également identifié d'autres qualités importantes à leurs yeux. Il s'agit de l'adaptabilité, de la rigueur, du souci de l’éthique, du tact et de la diplomatie. S'y ajoutent la capacité d’écoute, le sens de la communication, la capacité de s'exprimer clairement, l'entregent, le dévouement et l'esprit de collaboration. Enfin, certains ont évoqué la souplesse, la débrouillardise, le sens du devoir, le souci du détail et de la tradition, la polyvalence, l'intégrité, l'efficacité, le jugement, ainsi que la connaissance des enjeux et de l'actualité. Une personne a mentionné un « excellent service à la clientèle peu importe le député ou le personnel politique [ou] administratif ».
Le tableau synthèse qui suit ne confirme qu'en partie notre hypothèse. Un plus grand nombre de députés et de fonctionnaires parlementaires ont identifié les deux mêmes qualités les moins recherchées. Il s'agit du sens politique et de la loyauté, deux qualités qui sont d'ailleurs davantage associées au monde politique.
Tableau synthèse H4

Des différences émergent entre les deux groupes quant à la qualité la plus importante. La compétence est identifiée tant par les fonctionnaires parlementaires que par les élus. Elle est même le premier choix du plus grand nombre d’élus. Notons qu'il s'agit d'une qualité associée au domaine administratif. En revanche, les fonctionnaires parlementaires ont identifié en plus grand nombre la neutralité comme étant la qualité la plus importante à posséder. Notons qu'elle est aussi associée au domaine administratif. Ce qui est surprenant dans ces résultats, c'est le fait que la neutralité soit la dernière qualité retenue par un député sur cinq. Pour les élus, c'est plutôt la compétence suivie de la discrétion qui sont les qualités les plus importantes. Ces deux qualités sont elles aussi davantage associées à la sphère administrative. En définitive, l'hypothèse est validée dans la mesure où les deux groupes priorisent davantage des qualités relevant du domaine administratif plutôt que celles du domaine politique. Elle ne peut toutefois l’être que partiellement dans la mesure où la qualité de neutralité, pourtant centrale dans le domaine administratif, n'est clairement pas perçue de la même manière par les deux groupes.
Discussion et conclusion
Les fonctionnaires parlementaires jouent un rôle central dans la vie démocratique d'une société. L'expertise et le soutien qu'ils apportent aux élus sont nécessaires pour assurer le bon fonctionnement de la branche législative d'un État démocratique. Cet article permet de mieux comprendre, à l'aide de rares résultats empiriques, les relations qui s'exercent entre eux. Pour étudier cette dynamique, nous avons eu la chance d'avoir accès aux élus et aux fonctionnaires parlementaires de l'Assemblée nationale du Québec. Nous avons constaté le respect commun d'une norme : pour encadrer le travail des fonctionnaires parlementaires, la hiérarchie administrative de l'Assemblée prévaut. Il s'agit là d'une condition de succès importante pour assurer la professionnalisation, la neutralité et la continuité du soutien et du bon déroulement des travaux parlementaires.
L'Assemblée nationale du Québec évolue dans un modèle politique et administratif de type Westminster. Les principes qui découlent du modèle administratif britannique, aussi en vigueur au Canada, sont bien établis. Comme nous l'avons vu, sur le plan théorique, cela implique une ligne de séparation claire entre ce qui relève du domaine politique et du domaine administratif. Alford et collaborateurs (Reference Alford, Hartley, Yates and Hughes2017) prétendent plutôt que cette entente tacite entre les élus de l'exécutif et les fonctionnaires n'existerait plus et qu'une nouvelle zone intermédiaire se serait développée. La ligne de démarcation entre le politique et l'administratif serait ainsi devenue floue.
En appliquant ce cadre théorique à la branche législative québécoise, nous avons formulé quatre hypothèses qui nous permettent une incursion dans cette boîte noire du pouvoir au sommet de l’État. Pour y parvenir et réaliser cette étude exploratoire, la participation des principaux intéressés était incontournable. Nous avons été en mesure de collecter les données auprès de fonctionnaires parlementaires et de députés québécois à qui nous avons garanti l'anonymat. Les données recueillies nous permettent d'observer que les deux groupes de répondants de l'Assemblée nationale du Québec partagent une conception commune du rôle des fonctionnaires parlementaires et de leur position dans la hiérarchie organisationnelle. Cette étude nous permet aussi de mieux comprendre les relations de pouvoir qui s'exercent au sein de ce parlement.
La première hypothèse H1, quoique partiellement validée, conduit au constat que tant les élus que les fonctionnaires parlementaires ont une conception commune de la hiérarchie au sein de l'Assemblée nationale du Québec. Nos résultats montrent que pour une majorité de répondants des deux groupes, il existe une ligne claire entre le domaine politique et le domaine administratif. L'autorité qui guide les fonctionnaires parlementaires est donc administrative pour la plupart des répondants. Aucun élu n'a même indiqué à un fonctionnaire parlementaire comment il devait faire son travail. Paradoxalement, ce sont des fonctionnaires parlementaires qui seraient plus réceptifs à répondre à certaines requêtes de députés. Est-ce une forme de déférence hiérarchique ou la manifestation d'une volonté d'offrir un service de qualité ? En indiquant que le réflexe d'offrir un service à la clientèle est une qualité importante à posséder, un fonctionnaire parlementaire nous offre un début d'explication. Cette tendance à la proactivité à l’égard de la satisfaction des besoins politiques des ministres s'observe d'ailleurs de plus en plus auprès des hauts-fonctionnaires de la branche exécutive.
L'hypothèse H2 nous a permis de distinguer le rôle du fonctionnaire parlementaire par rapport au rôle de ses collègues de l'exécutif alors que l'hypothèse H3 nous a permis de distinguer le rôle du fonctionnaire parlementaire par rapport à celui du personnel politique. Il s'en dégage une conception commune du rôle des fonctionnaires parlementaires, qui diffère des employés évoluant dans la branche exécutive. De plus, aux yeux des fonctionnaires parlementaires, le ministre n'a pas de statut particulier parmi l'ensemble des députés. Cependant, en lien avec l'hypothèse H3, lorsque vient le temps de prodiguer un conseil politique à un élu, la frontière entre domaine politique et administratif apparaît nettement moins étanche. Une part importante de fonctionnaires parlementaires ne distingue d'ailleurs pas leur rôle avec le rôle partisan exercé par les conseillers politiques. Une faible majorité d’élus et de fonctionnaires parlementaires disent n'avoir jamais reçu ou prodigué des conseils de nature politique. Ce résultat serait-il attribuable à une conception différente du concept de conseil politique parmi les répondants à l’étude ? Un conseil politique est-il nécessairement partisan? Quoi qu'il en soit, nos données tendent à confirmer l'ancrage premier des fonctionnaires parlementaires dans la zone du domaine administratif (voir la Figure 2) plutôt que dans la zone du domaine politique. Chez certains répondants, on observe néanmoins une certaine incursion dans une zone plus ambiguë. Nos données confirment donc la pertinence de l'idée de continuum développée par Alford et collaborateurs (Reference Alford, Hartley, Yates and Hughes2017).
L'hypothèse H4 nous permet aussi d’évaluer l’étanchéité des domaines politiques et administratifs selon les qualités recherchées pour exercer le travail de fonctionnaire parlementaire. Notre hypothèse est partiellement confirmée. En effet, tant les élus que les fonctionnaires parlementaires ont d'abord associé à ce travail des qualités liées au secteur public. À l'inverse, les qualités les moins recherchées (sens politique et loyauté) sont associées au domaine politique.
Il y a toutefois un bémol sur lequel il importe d'insister. Si la recherche de compétence est valorisée par les deux groupes, ce n'est pas le cas de la neutralité. Un seul élu l'a placée comme son premier choix ; trois l'ont même placée en dernier. Il s'agit pourtant du premier choix des fonctionnaires parlementaires qui sont ainsi en phase avec les valeurs prônées par l'institution à laquelle ils appartiennent.
Dans cette étude, nous avons observé que malgré un environnement complexe, les acteurs qui se côtoient à l'Assemblée nationale respectent les rôles et les missions de chacun tant dans les domaines administratif que politique. La plupart des personnes élues et la majorité des fonctionnaires parlementaires partagent une conception commune quant à leur perception du rôle de chacun et de la hiérarchie. L’étude de cas que nous avons réalisée n'a pas la prétention d’être généralisable. L'Assemblée nationale du Québec se distingue d'ailleurs du Parlement canadien quant au statut de ses employés. Contrairement à leur homologue québécois, les employés du Parlement canadien, spécifiquement ceux travaillant au sein du Sénat, de la Chambre des communes, de la Bibliothèque du Parlement et d'autres entités parlementaires, ne sont pas considérés comme faisant partie de la fonction publique du Canada telle que définie dans la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Ils relèvent d'un système d'emploi séparé qui est spécifique au Parlement. Comme nous l'avons vu, au Québec, les fonctionnaires parlementaires sont régis par la Loi sur la fonction publique québécoise, ce qui leur permet d'envisager une carrière au sein de la branche exécutive de l’État. Cette distinction institutionnelle qui permet davantage de mobilité aurait-elle un effet quant à la perception d'indépendance et de neutralité des fonctionnaires parlementaires de l'Assemblée nationale?
De même, la taille de nos échantillons, particulièrement chez les élus, constitue une limite importante à notre étude. Malgré plusieurs relances, il ne fut pas possible d'obtenir un taux de réponse plus élevé. Il faut dire que les élus sont régulièrement sollicités et doivent faire face à plusieurs demandes. Il importe donc de nuancer la portée de nos résultats. D'abord parce qu'ils ne portent que sur un seul parlement, mais aussi parce que les élus et les fonctionnaires parlementaires ayant répondu à nos questionnaires peuvent être ceux qui sont le plus intéressés par la thématique de l’étude. Néanmoins, les résultats observés témoignent de distinctions entre la réalité des fonctionnaires parlementaires et celle des fonctionnaires de l'exécutif. Les résultats indiquent aussi que dans la majorité des hypothèses formulées, tant les députés que les fonctionnaires parlementaires ont une conception commune de ces réalités.
Il faut donc voir en cette étude une invitation à approfondir un programme de recherche en plein essor. Pour étudier le niveau d'institutionnalisation du législatif face à l'exécutif, un tel programme de recherche ouvrirait la porte à des comparaisons entre les différents parlements sur la base des liens entretenus entre les fonctionnaires parlementaires et les élus. Une conception commune du rôle des fonctionnaires parlementaires se traduit par des tensions institutionnelles moins élevées, ce qui facilite le bon fonctionnement d'un parlement. Une séparation claire des domaines politique et administratif protège aussi un parlement de querelles partisanes qui découleraient d'une instrumentalisation politique de son administration, ce qui favorise sa continuité institutionnelle.
Les fonctionnaires parlementaires assurent la stabilité et la pérennité de la branche législative de l’État. Leur capacité d'exercer leur travail avec neutralité face aux groupes politiques, avec indépendance face à l'exécutif et avec un niveau élevé de compétence constitue des éléments qui permettent une institutionnalisation parlementaire durable. Étant donné que plusieurs courants politiques se côtoient au sein du parlement, les conséquences d'une séparation imprécise entre les domaines administratif et politique sont plus grandes dans la branche législative que dans la branche exécutive de l’État. Une séparation claire entre le politique et l'administratif est indispensable à une époque où de nombreux parlements font face à des attaques partisanes vigoureuses et à une polarisation politique plus élevée. Dans la joute politique qui se déroule en chambre, il est important que les élus aient l'assurance que les fonctionnaires parlementaires ne favorisent pas un parti plutôt qu'un autre.